Une dernière audience pour cette journée. Une bien étrange journée, d'ailleurs – combien de fois as-tu vu quelques étranges personnages perdus dans ton palais? Cela t'a amusé. Rien de plus. Parce que tu es heureux. Parce que ce soir, après cette journée où tu as rencontré quelques nobles d'Euphoria et des marchands curieux de connaître tes plans concernant les liens avec Nightingale, tu seras avec Sigal. Une soirée seul avec elle, un tête à tête avec le plus cher de tous tes trésors. Pour lui murmure les légendes de son royaume, pour rêver en regardant les joyaux de ses yeux, pour être seul. Savoir. Connaître. Comprendre. Aimer.

La femme quitte la salle d'audience et Ætheris monte sur tes genoux, reprenant possession de ta personne. Tes doigts se glissent dans son épaisse fourrure, il est tout de blanc vêtu en cette journée, et tu lèves lentement les yeux lorsqu'un messager entre dans la salle d'audience sans être annoncé. Tu es de bonne humeur, il est chanceux. Deux gardes l'accompagnent, une étrange expression sur leur visage. Aussitôt, tu es alarmé. Quelque chose d'anormal se passe. Tes doigts s'arrêtent dans le clair pelage et vos yeux tentent de lire dans le messager. Ætheris descend de tes genoux, te laisse te redresser. La couronne sur ta tête brille, tu en imposes. « Votre Altesse, pardonnez mon impolitesse, mais je dois absolument vous parler. Je vous écoute. Ta voix est posée. Attentive. L'homme bégaie. Nous, nous, je, nous, nous – nous avons p-perdu la p-princesse. » Un silence. Ta voix glaciale fend l'air, comme une lame : « Je vous préviens, si c'est une tentative d'humour que vos mots, elle vous méritera la prison. » Et même la mort. Perdu la princesse. Sigal. Perdre Sigal. C'est un enfant, on ne peut pas perdre un enfant – on ne peut pas perdre un bébé, une princesse, on ne peut pas perdre Sigal. L'expression désespérée du messager te convainc pourtant. Ce n'est pas une blague. Et tu l'écoutes parler, sans comprendre réellement, comme si ton esprit ne voulait pas comprendre. « Un de nos gardes était dans les j-jardins, le Jardin N-noir, et il a parlé quelques mi-minutes avec la dame Siguardent, et lorsqu'ils sont reven-nus, la princesse était disp-parue. » La princesse. Disparue. Sigal. Disparue. Tu te brises, tu te crispes, ton souffle se bloque, tu te meurs. Joséphine. Elle doit savoir. Tu chuchotes pour ne pas hurler, pour ne pas laisser toute ton âme comprendre l'ampleur de ce qui s'est passé : « Joséphine. Faites-la venir. » Les regards se concertent encore, l'homme baisse la tête encore plus s'il est possible, et ce qu'il murmure est hésitant, rapide, comme s'il ne voulait pas que tu comprennes : « Sire, la dame Siguardent est introuvable. » Introuvable. Disparue. Elle a filé à l'Anthim, comme tu as déjà entendu une petite domestique de Lorgol clamer sans se soucier des oreilles qui entendraient cette étrange expression. Partie. Avec Sigal peut-être? Joséphine serait partie avec Sigal. Jalouse, elle te l'a volé. Elle a volé ton trésor. Non. Joséphine est une amie. N'est-ce pas? Tu te crispes, tes doigts se serrent sur les bras de ton trône. Anthim. D'Erebor serait-il venu jusqu'ici voler Sigal? Voler ton trésor? Ou un autre. Un ennemi. N'importe qui. On a volé Sigal. Sous ton nez. Cette personne devra payer. Mourir. Tuer. Tu devras tuer. Sentir le goût du sang sur ta langue, le goût de la mort, tu tueras pour elle, tu tueras.

Ta respiration est devenu un sifflement. Un sifflement rauque, furieux, si difficilement contrôlé, et à tes pieds, le persan est devenu panthère, est devenu ombre menaçante. Ta voix est hachée lorsque tu parles, alors que dans tes mains brûle le feu, brûle ce feu qui consume ton âme, brûle la hargne et la rage dans le moindre de tes mots : « Rassemblez toutes les troupes. Faites passer le message. Fouillez le royaume. Dites à Aliénor que je pars. Je reviendrai quand j'aurai retrouvé Sigal. Tuez le garde dont vous avez parlé. Ramenez Joséphine. Vivante. Ne la blessez pas. Mettez-la en prison. Attendez mon retour. Allez voir du côté de Sinsarelle, ou de Séverac. » Et tu brûles, ô, tu brûles – le feu flamboie sous tes mains, lèche les bras de ton trône, jusqu'à ce qu'il brûle, qu'il brûle, et que tu te lèves, accompagné d'Ætheris, laissant l'incendie se propager dans la salle du trône. Tu la retrouveras. Tu la retrouveras. Pour Svanhilde. Ô Svanhilde... ton cœur bondit, se broie, se meurt. Svanhilde. Tu l'as trahie. Sigal. Tu as trahie la promesse d'âme que tu lui as faite. Trahie? Non. Non. Parce que tu la retrouveras. Tu la retrouveras et tu tueras celui, ceux, qui a osé, ont osé. Nous la retrouverons, Castiel. Nous la retrouverons.