La nuit enveloppait encore Blackmarsh, et pourtant les gens commençaient déjà à s'activer à l'intérieur des murs de la ferme forte. Tout le monde se pressait vers la place centrale pour regarder ou pour aider. Le départ de la caravane provoquait toujours de l'animation, alors qu'on chargeait les chariots des récoltes à vendre, de laine, de vivre, de divers objets faits en bois, qu'ils soient de décoration ou d'usage courant. Les bœufs se tenaient parfaitement calmes dans cette agitation, tandis que non loin, les mercenaires au service de la famille préparaient leurs armes et leurs chevaux. Cette année, la récolte a été particulièrement bonne, malgré les dures conditions de vie dans cette région à la limite des trois duchés d'Erebor, Sombreciel et Nightingale. En effet, Blackmarsh connaissait les mêmes hivers que ceux du duché de Nightingale, dur, froid et rigoureux. En général, il est impossible de sortir durant la saison hivernale, tant les tempêtes de neige qui balaient la ferme sont mortelles. Au printemps, la température s'adoucit suffisamment pour permettre les semailles de blé, de seigle et d'avoine. Le plus gros des récoltes est réservé à l'usage de la ferme et de la centaine de familles qui y vit, le reste est vendu. Les fermiers qui vivaient là, dirigés par la famille Eshir, travaillaient chaque jour avec acharnement pour gagner de quoi manger le soir, mais au moins vivaient-ils loin de toute l'agitation qui régnait en Arven. En cas de siège, Blackmarsh pouvait tenir contre n'importe quel assaillant indéfiniment. Perdu entre trois collines de rocs arides, d'immenses fortifications formaient une première enceinte de protection, et le fou qui tenterait de prendre d’assaut la ferme devrait se battre contre les températures et le terrain avant de rencontrer un premier ennemi.

Sylvia regardait l'agitation du haut du château de pierre, qui trônait au sommet d'une petite butte, donnant ainsi vu sur presque tout Blackmarsh avant de se retourner et d'achever ses préparatifs. Son épée à sa ceinture, elle enfila une grande cape de fourrure qui lui tiendrait chaud durant le trajet qui les guiderait à travers Arven. Elle enfila ensuite des longues bottes en cuir souple, pratiques, chaudes et confortables à la fois. Machinalement, elle jeta un dernier regard sur sa chambre avant de la verrouiller pour les mois à venir ; personne n'y entrerait, sauf une domestique qui viendrait faire le ménage une fois par semaine. La marchande parcourut les couloirs froid de la demeure pour s'arrêter devant la chambre de son père. Elle n'y entra pas, mais resta devant un instant, pensive, puis se dirigea vers les écuries. Son cheval était déjà prêt à partir, et deux mercenaires l'attendaient. Elle enfourcha sa monture et partit au petit trot pour superviser la fin du chargement. Tout était réglé comme une pendule, mais Sylvia préférait vérifier chaque chariot avant que la caravane ne prenne la route.

Lorsqu'enfin la procession se mit en route, le soleil commençait à monter dans le ciel, dispensant une faible lumière grisâtre. Dans cette région, personne ne voyait jamais la couleur jaune de l'astre de lumière, le vent charriait sans cesse des nuages qui le masquaient. Tandis que les chariots mettaient le cap sur le désert d'Erebor, où Sylvia y vendrait le plus gros de ses récoltes, la vie dans Blackmarsh ne décrut pas pour autant : le départ des marchands signifiait l'arrivée proche de l'hiver, et il y avait beaucoup de choses à faire : calfeutrer les maisons au mieux possible, chasser le maigre gibier qui vivait aux alentours pour saler la viande et en faire des conserves, réparer les granges et les étables pour le bétail.