(c) WindmillDECRIVEZ VOTRE Tu es une battante, en fin de compte. Malgré les coups durs que la vie t'a imposé, tu as toujours gardé la tête haute et tu as continué d'avancer tout de même. Tu es lucide, de toute façon, tu sais que tu ne pourrais pas changer ce qu'il s'est passé et que se morfondre est inutile. Pourtant, en toi sommeille tout de même une partie très naïve. Tu as tendance à penser les gens bons, malgré que tu aies côtoyé des hommes de la pire espèce. Tu restes réservée, mais agréable à vivre une fois que l'on te connaît un peu mieux. Farouche, il faut arriver à t'apprivoiser néanmoins pour que tu accordes ta confiance.
La vie t'a endurcie et c'est là que réside ta plus grande force : tu es prêtes à affronter ce que la vie à encore à te montrer et tu n'as pas peur, convaincue qu'un jour, tu trouveras pourquoi tu en es arrivé là. Ce n'est jamais vraiment la Fatalité qui dirige une vie, mais une part de Destin importante. Tu regardes le paysage défiler et changer au fur et à mesure. Tu découvres ton Duché dans son intégralité et sa différence pour la première fois dans ta vie. Toi qui n'as toujours connu que le bord de mer puis par la suite les corridors sombre du palais du Maître. Tu ne dis rien. Tu gardes le silence, comme toujours. Et même si tu pouvais parler, tu ne dirais rien. Parce que tu n'as rien à dire, tu ne sais pas quoi dire. Tu quittes pour la première fois ton duché, ta terre. Tu as toujours vécu dans le Duché d'Ansemer, dans un petit village de marin depuis l'aube de ta vie.
Tu as vu le jour en plein hiver dans la chaumière familiale. Ta mère, après des heures de travail t'a enfin permis de voir le jour et l'air de brûler tes petits poumons. En dehors de la maison, le vent soufflait comme d'accoutumée dans cette région côtière, mais le feu brûlant dans la cheminée réchauffait ta mère épuisée et ton corps potelé. Tu es la seule fille de la famille et tes frères te regardes émerveillé, surtout le petit Edwin qui ne comprend pas trop bien ce qu'il se passe. Tu pourras aider ta mère, plus tard, dans les travaux de la maison, mais au delà de ces considérations purement matérielles, ta mère est heureuse de porter une fille dans ses bras, de pouvoir partager ces choses qu'on ne partage qu'avec une fille et pas trois garçons, aussi forts et aimants soient-ils. Tu as grandi en faisant corps avec ta terre natale. En toi vivent les vagues, la houle, l'air iodé, le soleil chaud des fins de journée, la peau basanée de cette contrée, les vent violents charriés par les océans, les oiseaux qui flottent au-dessus des eaux, princes et empereurs du ciel marin. Tu connais par cœur les dunes qui entourent votre village et tu sais où te cacher pour avoir la paix.
La vie aurait pu continuer d'être aussi douce et clémente envers toi. Tu étais une enfant heureuse et joyeuse, mais la vie de pêcheur n'est pas toujours bien aisée et bien que Bjorn, le plus grand de tes frères ait rejoint la marine, l'argent qu'il envoie à ta famille ne suffit pas à compléter le maigre salaire de ton père et souvent, c'est un repas frugal et très simple. Toi, tu manges très peu, tu t'en fiches, mais tu sais que pour ton père et tes frères, c'est très dur. La vie en mer est éprouvante et ils ont besoin de forces pour pêcher.
Et puis un jour, alors que tu rentrais d'une énième journée passée à cavaler avec tes amis, tu sens à l'expression soucieuse sur le visage doux de ta mère que quelque chose de va pas. Elle semble contrariée et triste. Pourtant, elle ne te dit rien et tu t'occupes de tes tâches comme d'habitude sans oser poser de question. Tu attends qu'elle dise quelque chose, qu'elle te parle. Mais rien. Et la soirée passe. Et la journée du lendemain. Puis une semaine. Et une autre. Et tu finis par oublier cette soirée étrange.
Tu n'aurais pas dû. C'est maintenant que tu t'en rends compte, alors que tu quittes pour toujours ta terre natale.
Ca t'es tombé dessus sans prévenir. Tu avais complètement oublié cette soirée morose. Et puis un matin, tu as été réveillée beaucoup plus tôt par Edwin, le frère dont tu étais la plus proche, avec qui tu pouvais presque tout partager. Il te murmurait que les parents parlait avec un drôle d'homme dans la salle à manger et que ton nom revenait très souvent mais qu'il n'était pas bien certain de comprendre ce que cela signifiait. Toi aussi, tu ne voyais pas bien où Edwin voulait en venir et le temps que tu sortes complètement du sommeil, ta mère se trouvait près de toi et te demandais te t'habiller, de te coiffer et de descendre la rejoindre. Tu as obéie, trop endormie pour protester ou poster la moindre question. Assis près de ton père, un homme t'observe sans rien dire. Tu vois à son maintient qu'il est d'une classe sociale autrement plus élevée que la vôtre ; ses vêtements sont bien plus luxueux que les chemise en lin grossière que tes frères et ton père portent. Il ne dit rien. Tes parents non plus. Puis hoche la tête.
Et tu pars avec lui, sans comprendre, sans pouvoir dire au revoir à personne, ni à la mer.
Assise à côté de lui sans sa carriole, tu finis par t'endormir. Plus tard, tu es réveillée sans ménagement et envoyée dans un dortoir commun. D'autres personnes se trouvent là. Des filles, des femmes. On s'occupe de toi, on te lave, on te coupe les cheveux, on te coiffe et te donne quelques vêtements propres. Pas de belles factures, mais en tout cas bien plus belle que ce que tu portes habituellement. Le coton te semble doux sur ta peau et tu t'endors aussi vite. Personne ne dit rien et il pèse dans cette pièce une chape de tristesse que du haut de tes douze printemps tu ne ressens pas. Le lendemain, c'est ressourcée que tu ouvres les yeux et tu t'apprêtes à exécuter ton rituel matinal, comme si tu te trouvais encore chez tes parents. C'est là que la réalité te coupe le souffle. Tu n'es plus chez eux, tu ne sais pas où tu es, mais plus chez eux. La pièce où tu te trouves pues la transpiration et tu ne rêves que de sortir pour goûter au vent matinal. A la place de quoi, l'homme avec qui tu as voyagé la veille entre dans la grande pièce et d'un geste sec de la main désigne quelques personnes, dont toi. Tu comprends que tu dois le suivre et tu regarde avec émerveillement ce nouvel environnement.
Le marchand d'esclave, dont tu ignores alors le métier, te jauges à nouveau du regard, regarde tes cheveux, ton visage, tes mains. Un autre geste de la main et tu te sens happée par une poigne qui ne peut signifier que quelque chose de terrible. Tu te débats légèrement, sentant la panique monter en toi, insidieusement. Ton estomac se noue et dans ta poitrine, ton cœur cogne à grands coups douloureux. Vivre ne t'a jamais été aussi douloureux et pourtant, c'est cette douleur qui t'empêche de céder totalement à la panique. De toute façon, tu ne peux pas faire un geste, tes bras sont maintenus dans ton dos et agiter tes jambes ne sert à rien.
Tu deviens spectatrice et ce que tu vois ne te plaît pas du tout. Tu n'as jamais eu accès à une éducation plus poussée que celle que dispense l'école de la vie. Tu ne sais pas lire, ni écrire, tu ne connais que les rares noms à connaître pour s'en sortir dans la vie. Mais tu sais nommer les vents marins, les différents poissons qui peuplent les côtes, les plantes qui poussent dans les dunes. Tu sais où trouver les crustacés.
Et tu sais que cet homme qui te regarde les bras croisés sur sa poitrine ne regarde pas tes jolis yeux uniquement.
On te tire la tête vers l'arrière et on t'ouvre la bouche de force. Et quand le liquide entre en contact avec ta gorge, tu voudrais hurler, mais la douleur est bien trop puissante, bien trop forte pour que le moindre son puisse sortir de tes lèvres. Ca te brûle, c'est atroce. La douleur est intense, insupportable et te lève le cœur, te donne des nausée à n'en plus finir. Tu voudrais mourir plutôt que d'endurer une telle souffrance, tu voudrais mourir plutôt que de ne pas pouvoir hurler ta peine. On te tient toujours alors que tu convulses à cause de la douleur. Tes muscles, tendus à l'extrême, hurlent leur mécontentement d'être ainsi malmenés. Ca t'élance, dans ta gorge. Ils ne font rien, ils attendent. Et puis après ce qui te semble une éternité, un homme s'approche de toi et te donne de l'eau glacée qui apaise la brûle dans ta gorge. L'homme qui avait les bras croisés se tourne vers celui qui t'a conduite ici. « Elle ne parlera plus jamais ? ». Le second hoche la tête pour approuver.
Et toi, tu ouvres de grands yeux terrifiés en entendant cette nouvelle.
On a fait de toi une muette.
* * *
Tu es maintenant blanchisseuse depuis sept longues années dans ce palais où tu es confinée aux chambres dont tu dois changer les draps souillés de sueur des nuis trop intense du maître et de ses innombrables maîtresses, et le quartier réservé aux domestiques. Ton quotidien se fait de draps, de taies d'oreiller, de lessive. Tes mains sont maintenant bien abîmées par l'eau et le savon utilisé pour les laver. Tu n'as plus mal à la gorge. Après des mois de souffrances terribles, tes cordes vocales ont cicatrisées et si ce n'est que tu n'as plus l'usage de la parole, tu peux à nouveau manger normalement. Tu ne sais pas si tu es heureuse, mais tu sais que tu n'es pas malheureuse. A vrai dire, tu t'es fait une raison. Tu sais pourquoi tu es ici et tu n'en veux pas tellement à tes parents. Tu aurais aimé pouvoir te préparer et faire tes adieux, voilà tout. Mais ne plus voir Edwin laisse par contre en toi une stigmate qui ne se soigne pas, ton frère te manque cruellement. Tu n'es pas seule, pourtant. Tu es bien copine avec l'une des cuisinières et l'Intendante t'apprécie assez pour te laisser en paix quand tu peux te reposer. C'est à dire quand il n'y a pas de vêtements à repriser, de repassage, de lits à préparer. Mais être aussi active ne te laisse pas le temps de t’apitoyer sur ton sort. Au demeurant, ce n'est pas un trait qui fait parti de ta personnalité. Tu n'as pas le droit de sortir, mais tu peux passer des heures à regarder les gens vivre au dehors. Tu regardes les enfants qui se chamaillent, les vendeuses attirer le client, les prostituées adopter des poses aguicheuses, les hommes qui s'agitent, les nobles et les bourgeois qui se prélassent.
Pourtant, ce jour là, quand l'Intendante est venue te chercher, tu as senti que quelque chose clochait. Peut-être que dans son regard quelque chose te rappelait ta mère et sa mine soucieuse de cette soirée que tu avais oublié. « T'es une bonne petite, tu travailles bien. Rassemble ce qui t'appartient, tu pars. ». Tu voudrais demander où. Avec qui. Pourquoi. Mais tu te contentes de hocher la tête et tu t'actives. Tu n'as rien de vraiment personnel ni d'objet auquel tu tiens. Ce mouchoir brodé que tu as volé un jour et que tu gardes depuis. Ce corsage si jolie que ton amie t'a aidé à réparer. Tu as placé dans ces objets de vagues sentiments t'attaches, mais te préparer ne te prend pas de temps. Tu ne possède rien dans tous les cas. Tu suis l'Intendante aux travers de couloirs que tu connais bien pour les longer comme une ombre et tu arrives dans la cour où l'on livre les vivres aux cuisine. Tu vois ton amie qui te regarde à travers les vitres et tu lui adresses un petit signe de la main. Un adieu.
* * *
Tu ne viens pas
d'ici, de Lorgol, cette ville majestueuse qui te fait si peur. Non, ton cœur appartient à Ansemer, ton duché d'origine et le petit village de pêcheurs où tu as vécu toute ton enfance et tu y es plus fidèle que n'importe quoi d'autre. Pourtant, tu viens d'être à nouveau revendue à un noble qui réside dans la ville aux Mille Tours. Castiel de Sombreflamme. Tu ne l'as vu qu'une seule fois alors que tu t'occupais de sa suite dans une aile du palais de l'Empereur. Il t'a regardé assez longuement sans rien dire et t'a demandé de sortir. Le soir-même, tu entrais à son service.