A grands pas énergiques, tu arpentes ta chambre, de long en large. Tes jupons froufroutent dans un froissement de soie, et tes lourdes jupes de brocart virevoltent au rythme de ta démarche, alors que tu uses avec impatience tes semelles sur le parquet délicat de ta suite. Perle est occupée à choisir dans tes coffrets la parure adéquate pour accompagner le tissu bleu sombre de ta robe, et elle prend son temps, enfonçant les doigts parmi tes colliers et tes bagues. Au bout de ce qui te semble être une éternité, mais qui n'a au fond duré que quelques minutes tant ta suivante est diligente, te voilà parée de saphirs élégants et en route pour la suite de son Altesse Impériale la reine Cyselle. Une fois sur place, pourtant, celle que tu as connue comme duchesse héritière de Lagrance n'est pas encore là, et les dames qu'elle a conviées attendent son arrivée en échangeant mille commérages sur les raisons de ce retard.
Pour ta part, tu préfères t'adosser à une commode, un peu à l'écart, ouvrant grand les oreilles pour tenter de capter quelque échange intéressant au milieu de ces jacasseries. Hélas, rien de bien pertinent – et même si l'envie te démange d'entamer la conversation avec Perle qui se tient debout près de toi et tient sagement un petit sac brodé contenant quelque travail d'aiguille bien peu soigné, tu sais que la Cour ne te pardonnerait pas un tel impair. Alors, tu souris à droite, tu salues à gauche, tenant convenablement ton rôle de marquise de Sinsarelle, fleuron de la noblesse cielsombroise. Une courbette plus profonde que les autres – c'est Denise Saldenow qui s'avance là, entourée de ses dames, duchesse héritière d'Ansemer. La dauphine d'Outrevent vous gratifiera-t-elle de sa présence ? Rien n'est moins sûr – tu viens de plonger dans une profonde révérence de cour à l'arrivée de la duchesse d'Outrevent, sa belle-mère, Dame Arabella qui te semble bien plus issue des ruisseaux que des draps de satin de la noblesse. Tu n'as aucune envie de discuter avec cette parvenue qui souille le nom des Outrevent de sa bassesse – aussi opères-tu un repli stratégique vers le mur opposé du vaste salon de réception de l'Impératrice.
D'un geste, tu envoies Perle s'aligner avec les autres suivantes, dans un coin près de l'entrée, où elle prend place parmi les dames de Denise avec lesquelles elle semble bien s'entendre. Pour ta part, tu te diriges vers une femme qui se tient là sans trop sembler savoir quoi faire d'elle-même : ni roturière ni dame, elle porte l'un des noms les plus nobles de l'empire, entaché de sa bâtardise. Une souillure dont elle n'est pas responsable, mais qui la fait fuir comme si était lépreuse. D'un sourire et d'un salut, tu choisis de ne voir en elle que le sang respectable, et tu t'inclines devant Adelheid Nightingale et sa blondeur Gallienne. S'il te voyait, ton duc applaudirait sûrement à deux mains la provocation implicite que tu envoies au visage de toutes ces dames bien nées et richement titrées qui mènent contre cette pauvre oiselle la guerre du silence.
« Demoiselle Nightingale, c'est un plaisir de vous voir en notre compagnie. Patienterez-vous avec moi jusqu'à l'arrivée de notre souveraine, loué soit son nom ? »