Ils venaient de partir. Tous avaient quitté ce lieu, alors que la magie vibrait encore dans l'air, le froid, la haine, le sang. Au sol, ce bras fraichement coupé, qui appartenait à un homme désormais recherché, la mort flottait au dessus de sa tête, et nul pardon ne pourrait être offert à cet être. Hiémain en faisait le serment, il prendrait la tête de cet Answald et l'exposerait au cœur de la Cour comme celle de l'homme qui cru pouvoir berner la Guilde la plus puissante d'Arven. Et accessoirement peut être, l'homme qui avait osé blesser le Fils des Ombres. Encore qu'il y avait beaucoup de chose à lui reprocher. Curieusement, Hiémain n'avait guère envie d'y penser maintenant, alors que l'épaule le tirait, le sang calmement coulait. Et puis, il y avait Mélusine. Ah Mélusine, toujours ici, toujours là, dans cette salle. Il croyait la voir encore et toujours s'éloigner, que ce soir, elle partirait avec son Roi comme elle était venue pour lui ici bas. Et pourtant, elle était restée, pour son autre Souverain, celui qui ce soir avait fait des Miracles, comme elle aimait le dire, le surnommer. Et ce soir hélas, il sentait que de nouvelles paroles allaient être échangé. Un chemin à prendre, une suite pour l'avenir qui semblait si compliquée, si incertain.

Visage découvert, un instant les yeux dans le vide, le Roi des lieux fait volte fasse retrouver un fauteuil dans l'ombre, et s'y assoir quelque instant, alors qu'il ôte sa cape et découvre le sang de la plaie, légère, juste gênante. Son regard se reporte sur Mélusine, qu'il invite à le rejoindre – si tant est qu'elle le veuille – avant d'élever la voix, un son, qui n'avait pas résonné depuis plusieurs minutes déjà.

« Tes prières ont-elles été exhaussé Mélusine ? »

Le calme était si apaisant, et pourtant, ce n'était pas la paix dans le cœur de Hiémain. Nullement. Car de sombres projets l'attendaient lui même, un retour au loin sur son passé, une chose que parfois il aurait aimer oublier. Mais quelque chose semblait le pousser à retourner vers les sources de lui même, de ce qui faisait Hiémain de Sylvamir, et non pas le Fils des Ombres. Peut être aujourd'hui, se souvenir qu'il était quelqu'un, et qu'il l'avait, par peur sans doute, longtemps repoussé. Il soupire, dépité de tout ce qui lui pesait sur les épaules.

« Tant de choses à faire, tant de choses à régler, pour la Guilde, pour la Cour. »

Ils partent. Ils partent, tous, les uns après les autres, et le Fou Noir se glisse à nouveau dans tes veines, se dissolvant au fil de tes pensées, alors que la Reine Noire et son écrin quittent les lieux. Partis, les souverains réunis de Nightingale et leur bébé blond - partis, le Roi de Sombreciel et son amie d'enfance - partis, le Prince d'Outrevent et son désir de justice - partis, Shandor et Ermelinde. Tu as mis tout le monde dehors avec un certain manque de diplomatie, il faut bien le reconnaître... Ne reste plus que le bras tranché par Ordalie au sol, dans une flaque de sang qui ne te fait ni chaud ni froid. Vespéral était là, à ta main, et si les souverains de la Rose l'avaient demandé, si l'intrus n'avait ne serait-ce qu'esquissé un geste de plus envers Hiémain et le Roi qu'il abrite en son être, l'arc aurait chanté sa mortelle chanson et la flèche aurait cueilli l'importun au vol, fauchant sa vie aussi aisément que l'on tranche un fil. Mais la Fureur des Étoiles est resté paisible à ta main - tout va bien. Ils sont partis, et voilà que tu t'avances vers le Fils des Ombres dévoilé, son masque ôté comme toujours lorsque vous êtes ensemble en son privé.

T'installant sur ses genoux, comme si de rien n'était et que la scène de ce soir n'impliquait aucune conséquence sérieuse pour ton roi sans couronne, tu t'occupes de panser la plaie de son épaule avec la compétence née de l'habitude. D'un ton léger, tu réponds à son murmure, aucunement dupe de ce qui lui passe par les pensées.

« Beaucoup à régler pour les Voleurs et la Cour des Miracles, mon Roi, mais également beaucoup pour toi. Je sais que celle qui s'en est allée étant tout autant ta Reine que ton invitée – il est temps, peut-être, que tu songes au serment que tu pourrais prononcer. Mes prières ont été exaucées, peut-être est-il temps que tu exprimes celles qui hantent tes pas pour qu'elles soit entendues et considérées... Allégeance n'implique pas déchéance, ô mon Roi des Miracles – soumission n'est point décadence. »

Blessure soignée, pansée, il ne reste que le vague souvenir de la douloureuse coupure, mais rien qui ne marquera, et qui n'aurait jamais marqué Hiémain. Les pensées le submergent, la tristesse également, le dépassement, l'ennui. Il avait espéré, peut-être, qu'en gardant la reine de Nightingale ici, jamais elle ne reviendrait rappeler à lui le domaine qui lui revient de droit, le poids qu'il détient entre ses doigts. Sylvamir, il n'y avait surement que ce sujet capable de déstabiliser le Roi des Voleurs. Il n'y avait que le passé pour lui rappeler combien il ne pouvait le supporter. Non pas qu'il eu voulu l'oublier, mais certains détails n'avaient pas à être évoqué, et hélas, tout le monde en Nightingale savait trop de choses. De mauvaises choses.
Mélusine est là, apaisante à sa façon coupant le fil de ses pensées qu'elle avait d'ores et déjà deviné. Sans façon, elle vient prendre place sur les genoux de son Roi, comme si nulles barrières ne les séparaient, et ce n'était pas Hiémain qui aurait refusé cet élan d'affection qu'il recherchait. Trop fier, trop secret, personne ne savait ce qu'il voulait, et en toute honnêteté, lui même l'ignorait, sans le reconnaître. Futée la Mélusine, il aurait aimé pouvoir masquer les tourments qui l'assaillait. Mais il fallait reconnaître que c'en devenait difficile. Tout autant qu'il était dur de parler, car la gorge nouée, Hiémain avait des doutes quant-à parler de Sylamir, cette terre sienne qu'il avait longtemps refusé de retrouver. Il n'avait de Sylvamir que le titre, et le nom.

« Je ne suis de ce royaume que par la naissance, puis-je encore me considérer comme loyal sujet de Nightingale alors que je l'ai abandonné ? Mon nom là bas n'est que bafoué, j'ai la honte de ma lignée, dans mon sang et dans leurs actes. Comment puis-je prêter serment, alors qu'en moi réside tout ce qui fait défaut a Sylvamir ? Quelle allégeance puis-je offrir alors que je ne sais même pas moi même qui je suis là bas ? »

Un vague passé, le problème était bien plus profond encore que ces quelques paroles racontées. Mais Hiémain avait la hantise de cette famille qui était la sienne, cette famille qui l'avait toujours repoussé, qui n'avait jamais accepté ce qu'il était et pourtant, c'était lui qui avait rassemblé les Sylvamir en un, comme il aurait toujours du en être. Mais le poids pesait toujours, et la honte plus encore.

Il hésite, il s'interrompt, bute sur les mots, et tu sens au fond de toi le doute intense qui l'habite au souvenir de la terre dont il porte le nom. Tu n'as jamais connu de tel sentiment : tu es de Séverac jusqu'au plus haut de tes branches, tu es de Sinsarelle jusqu'au plus profond de tes racines, et les noms qui t'ont été donnés te comblent d'honneur et de fierté. Tu comprends, cependant, la gêne de Hiémain à se voir associer à un nom si décrié dans le royaume où il est né. Les rumeurs malsonnantes l'avaient suivi à la Cour de Lorgol, où vous vous étiez rencontrés en tant que nobles avant de vous côtoyer en tant que Voleurs, et tu avais froncé le sourcil devant le manque de délicatesse de certains.

« On ne choisit ni le nom que l'on porte ni ceux qui nous l'ont légué, Hiémain, et tu le sais fort bien. Ceux qui sont venus avant ne devraient pas hanter tes choix – le seul à pouvoir décider de ce que tu veux être, c'est toi. Pourquoi ne te rends-tu pas à Sylvamir, voir de tes yeux les terres qui t'ont vu naître, celles que tu dois administrer et protéger ? Il serait temps, également, de rencontrer tes souverains nouvellement retrouvés. Aucun enfant ne devrait avoir à payer pour les crimes de ses parents... Choisis les promesses à prononcer, établis de nouveaux serments. La Cour des Miracles peut exister sans toi l'espace du temps qu'il te faudra – si tu le désires, pour veiller sur tes intérêts, je puis épauler Shandor et demeurer là. »

Rester à Lorgol alors que Hiémain n'y sera plus ne t'enchante pas forcément, mais tu souhaites lui venir en aide dans son difficile choix. Pensivement, tu effleures sa joue du bout de tes doigts, ton regard songeur plongé dans le sien – un instant, tu te demandes comment tu agirais, à sa place. Sûrement avec le plus grand des doutes, et l'angoisse la plus totale...

Le doute, la peur, confrontés à la force du regard de Mélusine. Hiémain était déstabilisé, et ce qui ne lui ressemblait pas laissait découvrir une part de lui qui avait été jusque là toujours cachée. Le jeune homme avait toujours été secret sur lui même, et ce qui concernait son passé, si cela n'avait pas été enfouit profondément restait une marque béante ouverte qu'il craignait ne pouvoir refermer. Il se souvenait de ces mots, ces moqueries, les regards qui l'avaient assailli quand il était arrivé à la Cour, la honte de son nom et sa lignée, lui qui n'avait pas choisi et qui par la force des choses avait du prendre en main les terres de ces ancêtres. Un domaine qui l'avait vu naitre, mais qui jamais ne l'avait vu grandir. Hiémain n'était pas lié aux Sylvamir, et pourtant, c'était leur nom qu'il portait, et avec lui un héritage maudit doublé d'une honte du sang, d'une naissance proscrite et exécutée. Il refusait d'y penser. Et pourtant, il devait être mit face à l'évidence, il allait devoir y retourner. Les Souverains étaient de retour, il ne pouvait jouer plus longtemps hors de ce terrain qui était sien et qu'il méconnaissait vraiment. Il devait y retourner, et prendre en main ce qu'il avait laissé. Et de cela... il en avait peur.

« On ne m'a pas laissé le choix, ni chez moi, ni à Lorgol. Il rit amèrement. Le Mal-Né. Que reprendre avec ce nom qui me suit et dont je ne peux me débarrasser, puisque ce n'est que la stricte vérité. »

L'amertume de ces mots et de ce passé marquaient durement le cœur de Hiémain. Peu à peu, il avait comprit que ces choses, il ne pourrait jamais les retirer de l'esprit des gens, et que malgré sa bonne volonté, Sylvamir semblait destinée à rester un sujet risible. Que pouvait-il faire ? Oh il n'avait pas peur de laisser pour quelques semaines la Cour des Miracles et la Guilde, il avait assez confiance en Shandor et Mélusine pour surveiller et si nécessaire le prévenir. Mais aurait lui même seulement le courage de reposer un pied là où tout n'avait été que moqueries et honte ? Si la main de Mélusine sur sa joue n'avait pas ôté la crainte, elle avait ramené en lui quelques forces.

«  Je suis le Maitre de Sylvamir, et malgré ce que m'inspire ce lieu, je ne peux pas l'abandonner alors que le Roi et la Reine sont de retour pour régner. Je dois y aller oui, j'ai perdu trop de temps, j'ai repoussé bien trop de fois ce moment... Mais Mélusine, j'ai haït ce passé qui est le mien, je l'ai refusé, et j'ai peur de le retrouver alors que j'ai tout fait pour le repousser. Je suis le Fils des Ombres, c'est un fait, et je l'accepte plus que je ne suis Hiémain. J'ai perdu pendant toutes ces années celui que j'étais, et peut être est-il trop tard pour le retrouver. »

La voix si froide de Hiémain avait laissé place au malaise profond d'une voix presque inaudible, des murmures brisés qui tentaient malgré tout de se battre pour exister. Les yeux un instant dans les siens, il se rapproche alors de Mélusine, prenant la jeune femme dans ses bras dans une étreinte, plus une soutient, une moyen de rester accroché à ce qu'il avait encore, avant de plonger dans ce qu'il n'avait pas.

« La vérité en fait, c'est que j'ai peur de ne pas me retrouver là bas. De n'être que l'étranger que j'ai toujours été, et que rien ne changera, quoiqu'il se passe. »

Sans rien dire, le laissant parler, évacuant sa crainte et ses doutes, tu le laisses t'enlacer, poser sa tête sur ton épaule, dans le doux crissement de tes voiles d'Erebienne. Tu ne peux guère le réconforter autrement qu'en le berçant imperceptiblement dans tes bras, comme tu le faisais plus jeune avec Castiel et Melbren, opposant à la noirceur de l'incertitude les vestiges de ta lumière solaire, combattant la solitude et la misère par ta propre chaleur. Il y a bien longtemps que la petite fée rieuse de Séverac a disparu dans les voiles ténébreux du Fou Noir, mais tu es encore capable de compassion et tu es attachée, malgré tout, à ce Roi sans visage que tu as connu à la Cour de Lorgol ce qui te semble une éternité auparavant. Tant de chemin parcouru ensemble – lui devenu Fils des Ombres, et toi brisée puis reforgée en une ombre vengeresse au front couronné des étoiles dans lesquelles Vespéral te permet de te perdre à volonté. Que de changements dans vos vies...

« Hiémain, je suis cielsombroise. Rien de ce que tes parents ont pu faire de leurs vies n'est en mesure de me choquer – ta propre reine a mis au monde un enfant engendré par son frère, comment pourrait-on te tenir rigueur d'être né tel que tu l'es ? Je ne connais pas ta famille, je ne connais pas bien les Galliens – mais il me semble qu'il y a plus d'honneur et de respect dans les traditions de ton royaume que ce que ta famille a daigné te donner. Tu es né d'un bel amour, si beau, si fort, qu'il a transgressé les interdits, et de cela, tu dois tirer fierté. Tu es Gallien, Hiémain – je suis sûre qu'il y a au fond de toi le souvenirs de ces glaciers étincelants sous le soleil de l'hiver, des neiges à perte de vue quand vient l'hiver, de la beauté sauvage de ces terres qui sont tiennes et qui attendent le retour de leur seigneur... Tu portes Sylvamir en toi comme je porte Séverac au fond de mon être et Sinsarelle au plus profond de mon cœur. Sois fier de ce que tu es – tires-en fierté, relève le front, et va de lavant. Nightingale a besoin de sa noblesse, la reine a besoin de ses seigneurs, et si tu es prêt à engager Sylvamir à ses côtés, fais-le avec le panache et la grandeur du Roi des Voleurs, ces qualités et ces talents que je te connais parce que je t'ai vu les démontrer depuis des années. Cesse de fuir – retourne-toi, contemple ce qui t'attend. Il ne faut pas avoir peur de l'avenir, mon ami – tu as parfaitement les armes qu'il te faut pour en sortir victorieux... »

Un long discours, pour la femme discrète et silencieuse que tu es devenue, mais un discours sincère, droit, franc, venu directement de ton cœur de noble et de marquise fière de sa terre. Séverac t'a vue naître, Sinsarelle t'a vue grandir, tu es faite du mélange du sable d'or d'Erebor et des crépuscules pourpres de Sombreciel – tu es Mélusine, telle que es née, et tu en es immensément honorée. Qu'il soit fier d'être ce qu'il est, ce roi triste et solitaire que tu serres contre toi – fier d'être tout cela, et déterminé à s'engager pour préserver sa terre et ses gens. Il serait un seigneur au cœur bien né, un souverain sage et éclairé – un digne protecteur pour un domaine décrié, l'homme qui pourrait réhabiliter ce nom devenu risible et honteux. Si seulement il se donnait la force d'y croire, et d'espérer...

Tel un enfant, il se laisse bercer par les bras doux de Mélusine, qui telle une mère tente de réconforter, éloigner les doutes par sa seule présence, mais aussi et surtout par des paroles avisées. Hiémain avait paradoxalement besoin de deux choses, qu'on évite avec lui le sujet, qu'on le ménage sur cet aspect là de son passé, mais qu'on lui énonce clairement ce qu'il avait besoin d'entendre, à savoir une vérité, cachée sous des paroles apaisantes ou non. Il avait besoin des deux, il le savait, et si le réconfort faisait comme à chacun plus envie, il lui fallait un coup de pouce pour se rendre compte qu'il pouvait espérer, qu'il avait encore le droit à un futur par ce côté là de sa vie qu'il avait haït et fuit. Ce côté là de sa vie qui l'avait toujours renié. Les souvenirs étaient douloureux, car pour Hiémain, l'amour que ses parents avaient eu pour lui, aussi beau soit-il, avait été noyé par le chagrin des larmes et du sang, de la honte et de la colère. Il n'avait rien d'eux, sinon l'amer héritage d'une famille noble qui a trahi son royaume, qui s'est entredéchirée et qui a apporté sur son nom la moquerie de tout un pays. Difficile d'espérer dans ces conditions. Et pourtant, comme le disait si bien Mélusine, ces Roi et Reine avaient eux même participé à ce pêché dont lui même était issu. Pouvait-il alors se croire pas si différent ? Pouvait-il, par le plus grand des miracles, espérer se faire une place dans ce royaume qui jamais ne l'avait laissé indifférent, mais dont la douleur de la honte l'avait maintenu hors de porté toute sa vie ? Il ne le sait. Ou du moins, tout ce dont il est certain, c'est de la nécessité de retourner sur les pas de son passé, rencontrer cette reine fraichement libérée et peut être lui prêter une allégeance, lui qui n'avait compté que sur lui toute sa vie, qui n'avait eu pour modèle qu'une seule personne qui aujourd'hui l'avait quitté. Quoiqu'il puisse en penser, Hiémain était Roi. Peut être sans couronne, mais il recevait les prières de ses sujets.

« Tout cela est déjà bien loin derrière moi. Si les souvenirs qu'il me reste de Sylvamir sont tels qu'est la réalité, alors je préfère en rester éloigné. Du moins, c'est ce qu'un lâche ferait, ce qu'un peureux ferait. Et je ne suis pas de ceux ci, et malgré toute la force que me demande ce choix, je vais devoir le faire, car d'autres encore comptent sur moi. Le doute reste, et j'ai peur d'être déçu de ce que je trouverais sur les terres de ma famille que j'ai abandonné. Mais il est trop tard pour jouer de la honte quand il me reste l'honneur, celui de reprendre cette place qui a trop longtemps été risible. »

L'instant se passe, il resserre l'emprise sur Mélusine, le temps de prendre encore de son courage, avant de s'en éloigner. A contre cœur sans doute, mais il ne peut s'éterniser. Si il doit mener à bien ses projets personnels, il ne peut laisser la Cour des Miracles sans souverain, sans au moins au préalable diriger ce qui doit l'être. Il ne se lève cependant pas immédiatement, le regard sur celui de la jeune femme dont les traits semblent emprunté à quelques erebiennes pures souches. Aussi curieux que soit ce constat, il savait Mélusine offerte à deux royaumes différents diamétralement opposés, mais en elle régnait la fierté de son sang, de son être et de son nom. Ce qui pour Hiémain était une chose difficile à concevoir encore hélas.

« Pardonnes moi de t'abandonner ainsi alors que nous venons à peine de nous retrouver. Je laisse la Cour entre tes mains et celles de Shandor, je vous sais fidèles, je vous fais confiance. Car je ne pourrais pas me concentrer sur elle si je dois d'abord m'interroger sur moi. Je ne quitterais Lorgol que dans quelques jours, le temps de régler ce qui doit l'être. Dis moi Mélusine que tu seras là quand je reviendrais. »

Il ne demandait pas de promesse, ni de serment, juste les mots de cette femme pour qui il avait l'amour naissant et la certitude que malgré l'éloignement, elle serait toujours là pour le soutenir, comme lui à l'inverse aurait fait de même.

Il te serre contre lui, énonçant comme à contrecœur la teneur sincère de ce qui hante son âme depuis si longtemps. Silencieuse, tu l'écoutes déverser sur toi le sel de ses plaies, toute cette douleur sourde qui le ronge et l'obsède depuis qu'il est en page de comprendre la nature réelle du crime de ses parents. La Cielsombroise en toi peine à comprendre : quel mal y a-t-il à aimer, à aimer vraiment, par-delà les frontières et les limites de la bienséance ? L'Erebienne que tu es devenue saisit un peu mieux les nuances de honte et d'amertume que la voix de ton roi trahit entre deux syllabes, deux souffles, deux murmures. Il te serre contre lui, et tu sens sa résolution s'affirmer – il ira en Nightingale, il ira à Sylvamir, et il prendra en main le destin des siens, s'il le peut. Sage décision – tu sais qu'il s’inquiétera pour la Cour des Miracles dès l'instant de son départ, jusqu'au jour de son retour, et la confiance qu'il place en toi t'honore grandement. Tu n'appartiens pas au Conseil – mais tu as effectivement des yeux partout, et le Fou Noir tapi dans tes veines te donne une assurance irréelle, comme si Vespéral ne quittait jamais vraiment ta main – comme si la Fureur des Étoilés chantait perpétuellement dans un recoin de ton esprit sa mélodie incohérente et si étrangement belle.

« Je serai là, mon Roi. Je veillerai sur les pavés de ta capitale en ton absence – je resterai là, et j'attendrai que tu reviennes. Je penserai à toi – puisses-tu trouver là-bas les réponses aux questions qui te hantent, et l'appui dont tu as besoin. Je ne sais pas si tout se passera bien – je puis seulement te promettre mon soutien. Je t'attendrai, mon Roi – Hiémain. »