L'honneur et le respect. Tant de valeurs bafouées, tant de choses oubliées. Augustus devait périr, et les mains expertes de Siegfried seraient les responsables de sa mort navrante. Le jeune assassin le savait très bien, il viendrait un jour où il devrait agir pour son bien mais surtout pour le bien commun. Qu'était sa vie ? Elle n'avait aucune valeur, seule sa communauté, seul l'honneur avait encore de la valeur à ses yeux.

En ce bon royaume, les esprits criaient. La décadence provoquée par le pire des tyrans, l'Homme à l'âme encore plus noire que le plus traitre des apôtres. Siegfried se tenait là, rêveur. Il savait qu'une mission l'attendait, un contrat sans véritable intérêt mais qu'il mènerait tout de même, la Confrérie Noire avaient des valeurs et le respect du contrat en était une. Il devait mettre à mort l'un des ivrognes de la taverne locale. Pas besoin de beaucoup de précautions pour ce genre d’assassinats rapides où l'infiltration n'était qu'une douce utopique, un rêve lointain. Il suffisait simplement d'être patient, d'attendre que le jeune homme, un cruel rejeton d'une famille populaire qui buvait plus que de raison et qui causait du tord aux jeunes dames du coin.
Il détestait ce genre de comportements, pour lui, les règles devaient être respectées, sans règles, il n'y avait pas de société, et c'était la raison pour laquelle cette confrérie lui plaisait, elle rétablissait l'ordre et la moral. Quand il était enfant, il aimait que sa mère lui conte des histoires de chevaliers, parce que dan toutes, la puissance du bien triomphait, même lorsque les moyens employés n'avaient rien de lumineux.

Il avait été brillant dans le domaine du combat, comme toute sa famille, c'était une capacité héréditaire. Il avait combattu lors de tournois distrayants en remportant toujours la victoire promise. Il s'était entrainé et n'avait d'intérêt que pour ce genre d'évènements. Les leçons que les précepteurs se tuaient à lui instruire n'avaient pour seul but de le conforter dans l'idée qu'il était bien le fils de cette famille, et que "l'école" ce n'était point fait pour un Nibelungen. Seul le combat, seule la victoire avait de l'importance.

Aussi, il avait tout le temps de penser. Il pensa d'abord à lui. Il pensa à son avenir, en compagnie de sa silencieuse lame et de son cheval bavassant dans l'herbe. Il pensait à sa vie, à ce qu'elle était, à ce qu'elle allait bientôt devenir. Il pensa ensuite à la joie qu'il aurait lorsque cette lame, celle qui aurait bientôt détruit les espoirs de l'ivrogne, allait transpercer le cœur du tyran. Et cette idée lui donnait envie de continuer ce qu'il faisait, il avait envie de se battre, envie de faire gronder le gong si particulier de la mort. Le glaive se lèverait au son des cris d'un peuple enflammé. L'assassin songea ensuite pendant de nombreuses minutes à l'Oracle de la Confrérie. Il avait été élevé avec la jeune femme et leur relation était au beau fixe même si parfois, quelques actes le laissait perplexe et il ne pouvait s'empêcher de lui dire. A ces moments là, c'était une guerre d'insultes. Cela terminait généralement par un statut-quo entre les deux individus. Ils avaient été élevés ensemble, leurs familles étaient très proches, une relation fusionnelle même.
Depuis toujours la famille de Siegfried était dévouée à celle de la jeune blonde. Les Nibelungen n'avaient jamais eu l'envie de renoncer à seconder la lignée. Ces gens étaient bien trop reconnaissants et une fois même que la lignée fut déchue, ils continuèrent de les seconder.
Siegfried n'était pas sans savoir qu'il était aujourd'hui, l'un des enfants les plus méritants de sa lignée. N'étant pas spécialement modeste, il s'élevait au juste rang et n'ignorait pas non plus qu'il pouvait faire quelques caprices, occupant l'une des places majeures dans sa Confrérie, son pouvoir décisionnel n'était pas un accessoire et il en profitait. Bien entendu, il avait des fantasmes et l'un d'eux était d'occuper la place de la jeune femme. Il se rêvait parfois grand chef de la Confrérie et il pouvait y arriver, il était admiré, craint parfois par les autres, mais il restait clairement convaincu qu'il ne pourrait pas mener des hommes sans pertes. Impulsif notoire, un rien pouvait le faire démarrer et rien ne l'arrêtait, sauf peut-être en tuer quelques uns, ce qui ne devait pas être la solution idéale.

Depuis son enfance, il savait qu'il était différent des autres, il ne jouait pas avec les autres, et les consignes administrées par tout un tas de percepteurs n'avaient rien donné. Il adorait barboter dans l'eau à chercher des grenouilles et autres carpeaux pour s'amuser à les voir souffrir. Il ne pensait souffrir d'aucun trouble, il se savait juste différent. Pour lui, tuer les grenouilles était d'un démentiel plaisir, comme un rituel pour se sentir exister. Délicat lorsqu'il s'agissait de mettre à mort les amphibiens, les heures qui suivaient ces mises à mort n'avaient rien de doux. Il prenait un malin plaisir à les enfermer, et à les torturer. Si les psychologues existaient à cette époque, on aurait dit de lui qu'il avait le comportement d'un déséquilibré mental.

Pour lui tuer était bien plus qu'un simple acte, c'était sa manière de venir en aide auprès de la couronne, son moyen personnel de se battre pour les engagements qu'il avait pris et surtout la façon la plus séduisante de se délester d'un monstre grandissant en lui, de pulsions qui le poussait à commettre le meurtre. Il y prenait réellement plaisir, cette lame, coulissant dans l'antre déjà béante de sa victime, la lueur qui s’éteignait dans ses yeux, le dernier souffle, le regard suppliant, les larmes, la douleur et le relâchement du cadavre, le sang s'écoulant dans un bruit mélodieux, une brise, un vent agréable fouettant le pavé dur.

Il se prit à rêver, confortablement adossé à la fontaine en face de la taverne. Il se décida à y entrer, encapuchonné, il l'enleva rapidement afin de ne pas attirer les soupçons et vérifia la présence de sa lame aiguisée. Tout se déroulerait à merveille, comme à son habitude, son assurance, sa grandeur d'âme. Il pénétra dans les lieux. Terne, à l'image de l'homme, ces murs étaient dénués de tous sentiments, la lueur des bougies était bouffarde et il flottait dans l'air comme une odeur de moisie mélangée à du tord boyaux. Il repéra rapidement sa cible, un petit homme, la trentaine, affalé à une table en compagnie d'une pinte d'un alcool inconnu. Il calcula rapidement la situation, on le verrait si il tentait quelque chose dans cette sombre taverne, il devait donc agir à l'extérieur, il devait trouver un moyen pour l'attirer volontiers à la lueur de la lune.
Il s'en approcha rapidement, tout en évitant les ivrognes qui déambulaient dans la pièce avec autant de délicatesse que des éléphants dans de nobles magasins de porcelaine. Une fois qu'il en fut près, il lui tapota deux fois l'épaule, et le paysan déglutit. "Qu'est-ce c'est encore ? " Le jeune assassin lui fit un petit sourire et de sa voix la plus douce qui soit, il répliqua. "J'ai appris que vous aviez une faiblesse pour les jeunes femmes ? Il se trouve que dehors, de très belles dames cherchent à perdre leurs vertus."

A ce moment très précis, il compris que la bataille était gagnée. Le regard de l'homme s'était illuminé, il brillait de miles feux à l'annonce de cette si bonne nouvelle. Siegfried fit tout pour cacher le sourire naissant à la pointe de ses lèvres charnues. L'homme se leva et sans même payer son dû, il se dirigea vers la sortie, et c'est dans la discrétion la plus totale que l'infâme tueur fit de même.
Une fois que les deux hommes furent dehors, l'ivrogne fit la moue en se rendant compte qu'il avait été abusé. Et c'est à ce moment précis que Siegfried le frappa d'un coup derrière la tête.

Il tomba à genoux, et au moment où il allait se relever, il recommença deux ou trois fois, le frappant avec force mais pas dans le but de le tuer, juste pour qu'il souffre. Il frappa dans les côtes, un crac, l'homme hurle. Siegfried recommence encore, inlassablement, il le frappe, le sang commence à couler et l'assassin sourit, c'est ce moment qu'il préfère. La victime geint, elle supplie alors qu'il se noie dans le sang que sa bouche crache en masse. Il est blême et Siegfried continue encore, il rit maintenant. Les ruelles sont sombres, personne à l'horizon mais les cris font finir par rameuter quelques badauds et ce serait très mauvais pour lui et pour la Confrérie. Il avait rejoins la Confrérie au moment même où la jeune blonde en prit la tête, lui devant allégeance par son contrat moral, sur l'honneur et sur un tas d'engagements. C'était sa façon d'extérioriser ses penchants pour les tueries en règles.
C'était l'honneur, la lutte pour les choses justes qui le différenciait d'Augustus car dans le fond, ils étaient les mêmes, ils rêvaient de pouvoir et ils adoraient le sang.
Il traine le demi-cadavre sur quelques mètres, le sang ruisselant forment des trainées difformes. Le tueur sanguinaire s'agenouille, à côté de la victime allongée. Il sort sa lame et la passe délicatement sur le visage de la victime terrorisée par la situation.

Quant à l'assassin, il affiche maintenant son sourire satisfait, les ténèbres sont séduisants, la nuit est parfaite pour son crime. Il murmure quelques mots à la victime dans un soupir d'auto satisfaction. "Aucun goujat dans votre genre ne devrait vivre". L'honneur, voici quelque chose qu'il ne peut bafouer, l'honneur, les valeurs. Il y a des choses que l'on doit respecter et lorsque ce n'est pas le cas, on doit corriger les comportements divergents.

Le jeune Nibelungen dépose ses délicates lèvres sur le front de l'homme et l'embrasse, comme pour lui dire aurevoir, comme si ils étaient de vieux amis et que l'un d'eux faisait ses dernières confidences sur son lit de mort. Sauf que la mort, c'est lui. Il lui enfonce la lame dans le ventre, tout près de l'estomac, l'homme hurle, et Siegfried rit à s'en déchirer la gorge, le bruit si singulier de la lame qui se frotte contre les organes est tellement séduisant. Il hurle tellement fort alors que la lame tranche la membrane de l'organe. Un sang pourpre lui envahit la main puis coule sur ses vêtements miteux. L'homme pousse son dernier cri et le corps tendu par la douleur se relâche. Il est mort avec une telle sauvagerie, proportionnelle à la noirceur de son âme.

Les dés étaient jetés. Il se rappela alors, sans relation aucune avec l'acte qu'il venait de perpétrer, une célèbre chanson de son enfance "De ce sui en bone entente Que je son homage pris". Et il se surpris à fredonner, remontant sur son fidèle et noble cheval.