Je suis née il y a maintenant vingt six ans de ça. Le duché des Jardins est un endroit absolument magnifique. Grandir là bas fut un paradis. Peut-être cela est-il en partie dû à ma classe sociale. Mais qu'importe, mon enfance fut réellement parfaite. Petite, je vouais un culte à notre grande duchesse, sa beauté et son élégance m'ayant toujours fascinée. Mes parents, depuis le premier âge se sont toujours démenés pour m'offrir une éducation parfaite, ainsi qu'à m'apprendre les bonnes manières. Je me plaisais à faire partie de ce beau monde, pouvant ainsi me pavaner dans de somptueuses robes, récoltant en ces occasions les plus doux compliments -des plus jeunes aux plus âgés- de la communauté. Les bonnes manières me furent enseignées les unes après les autres, accompagnées d'une encyclopédie de la parfaite épouse, ainsi que de la parfaite héritière. Mon avenir était tout tracé. Mais, contrairement à certaines familles, mes parents prirent également le temps de m'apprendre l'importance de la liberté d'expression, de pensée ainsi que celle d'agir – tout en respectant bien évidemment les lois –. Ce dernier point mis quelques années à se mettre en place dans mon esprit. Il est vrai que lorsque tout va pour le mieux sans que vous n'ayez rien à faire, vous ne prenez pas réellement le temps de penser par vous-même. C'est d'ailleurs pour cela que je ne m'étais jamais réellement intéressée au monde extérieur. Ma pire erreur fût de très loin celle-ci, puisqu'elle me mena à mon mariage.

A mes seize ans je fus forcée d'épouser ce cher Dolph. Sans avoir le temps d'exprimer mon avis je me suis retrouvée avec une bague au doigt. Ayant toujours eu cette âme de petite fille idolâtrant les merveilleuses duchesses je refusais de croire qu'un mariage sans amour pouvait avoir lieu. Il paraissait beaucoup moins idyllique lorsque rien ne transparaissait sur votre visage au moment de dire « oui ». Mais, j'ai dû m'y faire. En vérité, pas vraiment. Me trouvant éloignée de mon cher paradis blanc je tombais dans une sorte de dépression, qualifiée de mal du pays. Il se passa quelques mois avant qu'un sourire puisse naître à nouveau sur mon visage. Ce sourire prit forme grâce à un homme, un seul. Chart. Le frère cadet de mon époux. Sans m'en rendre compte il avait pris une place en mon cœur petit à petit. Aussi délicatement que les traits de son visage. Je me plaisais à passer du temps avec lui, oubliant mon pays et me sentant ainsi merveilleusement douce et légère. Il faisait battre mon cœur, et naître des papillons en mon fort intérieur. Le bonheur revenait à pas discrets prenant à nouveau place dans ma vie. Mais quelque chose vint changer la donne. La naissance de ma sublime fille, Nereia. Quelle douce et tendre enfant, sûrement la chose la plus chère à mon cœur.

Elle n'était pas la fille de mon mari, je ne pouvais pourtant pas le leur révéler. Ni à elle, ni à lui. C'est pour cela qu'elle appela Dolph: Père, et Chart: Oncle. Tout d'abord parce qu'il était trop tôt, puis parce que ça lui ferait trop de peine. Nous réfléchissions souvent aux conséquences de la vérité sur nos vies avec mon amant, et toujours la conclusion s'avérait mauvaise. C'était sans compter sur les évènements à suivre, qui mirent définitivement sous clef mes projets d'avenir heureux avec mon enfant et mon tendre aimé.

C'est donc sans avoir le temps de m'habituer à cette présence nouvelle ainsi qu'à mon adultère régulier, qu'une nouvelle chose entra dans notre vie, comme un ouragan. Nous nous trouvions à la cour lorsque ce vent fort et puissant souffla toute normalité alentours. Sentant comme une oppression dans ma poitrine je ne cherchais plus qu'à protéger ma fille. Ce fût seulement quelques jours après que Nereia se confia. Quelque chose avait changé en elle. Mon montrant qu'elle avait désormais le pouvoir de guérison je pris peur. Peur pour elle, en nos temps la normalité était de rigueur pour se faire accepter. C'est pour cela que je lui recommandais, même lui ordonnais de taire son don aussi extraordinaire soit-il. Un dilemme des plus horribles se tenait face à moi. Celui de mettre en jeu l'avenir de ma fille pour enfin être avec celui pour qui battait mon cœur, ou protéger la prunelle de mes yeux à défaut de mon bonheur. Car il était vrai que si jamais le don de mon enfant venait à être découvert, le nom et la renommée de son père la protégerait. Je n'étais plus heureuse, et très loin de l'être, seul le tiraillement entre mes deux êtres chers et la peur régnaient en moi. C'est d'ailleurs pour cela que je mis un certain temps à remarquer qu'il n'y avait pas que ma fille qui avait changée.

Me baladant dans les jardins main dans la main avec ma douce, je me rendis compte de cette nouvelle chose faisant partie de moi. C'était un matin d'hiver, et nous passions près des jardins. Comme chacun le sait, les plantes ne fleurissent pas beaucoup en cette saison. Nereia me demanda pourquoi, selon elle l'hiver était la saison idéale pour que les fleurs s'épanouissent, ainsi elles donneraient une touche de couleur à ce paysage endormi. Étant attendrie par ses mots j'attrapai une pousse de rosier, la faisant passer entre mes doigts. Fixant la beauté de ma fille je me mis à sourire lorsque ses yeux prirent un air émerveillé. Je regardais maintenant ce qu'elle voyait, et me rendais compte que la fleur n'étant même pas un bourgeon il y a quelques instant se trouvait être une rose épanouie maintenant. C'est ainsi que mon don fut révélé. Cependant, je lui demandai de garder le secret. Je vis dans son regard qu'elle était rassurée de ne plus être la seule à ne pas pouvoir tout dire. Ainsi nous pouvions parler et travailler nos dons ensemble tout en veillant à rester à l'abri des regards indiscrets.

Depuis ce jour je porte un énorme poids sur mes épaules. Constamment déchirée entre ma passion et mon amour éternel. Mon avis changeant tous les jours je n'en étais que trop perdue. Sans savoir quoi faire j'errais dorénavant dans ma vie laissant le temps m'emporter et me guider en ses flots. Je ne choisissais pas, reportant toujours l'échéance de l'affrontement. Face à ce choix trop difficile je m'effaçais, n'existant plus vraiment, étant terrifiée à chaque instant. Malgré ça, j'aime ma fille, et je serai prête à donner ma vie pour elle, la peur ne m'en empêcherait pas. J'aime également Chart, même si pour lui donner ma vie, la peur pourrait peut-être ici se jouer de moi...


Il existe un lien encore plus fort que celui de la famille, celui de ma seconde naissance. Les blessures que ce mariage arrangé m'ont causées firent naître en moi une haine grandissante, sans pour autant pouvoir la qualifier. Le tyran régnant sur notre monde me donnait l'occasion parfaite de déverser ma haine. Au début par simple défaut de cause, puis au fur et à mesure par réelle conviction. J'entendais mes parents me répéter de ne pas me laisser faire, eux qui prônaient la liberté plus que tout, ayant bien pris le temps de l'enseigner à leur fille, la voilà enfin face à l'occasion rêver de mettre ces mots en œuvre. Révoltée par cette dictature scandaleuse je taisais pourtant mes pensées face à mon mari. Mais lorsque je me trouvais près de mon amant il en était autrement. Tout d'abord j'y allais doucement, ne sachant pas trop comment il pouvait réagir. Glissant une ou deux idées parmi les mots doux elles semblaient passer comme un drap de soie. Petit à petit j'en dis plus, et à mon étonnement il m'approuvait. M'expliquant à son tour ce qui le révoltait je me trouvais désormais avec un allié à mes côtés.

Lorsqu'il me parlait de l'alliance rebelle je le suivais en secret afin de faire partie de cette merveilleuse idée. Nous retrouvant pourtant sans pouvoir, nous n'avions que les mots pour nous sauver. Mais il y eut le souffle, la renaissance de Dragonvale. L'espoir naquit en elle. Les mages étaient maintenant prêts, et un souffle nouveau aller se faire entendre. Mon don n'avait que peu de chance de s'avérer utile selon moi, mais c'était sans compter sur nos amis botanistes m'expliquant à quel point les plantes pouvaient nous sauver. En nous, mages, ils voyaient un espoir. En ma fille surtout, avec son don exceptionnel. Je la tenais pour le moment à l'écart de tout cela, ne voulant pas risquer de fuite. Elle avait beau être merveilleuse, une enfant a une langue qui se délie vite.

Toutes sortes de pensées fleurissent en moi depuis ces révélations. En elle je retrouve l'espoir de mon idylle avec mes amours. En elle je trouve l'espoir d'un pays libre. Elle est mon nouveau rêve. Mon but à atteindre. Et comme une Rebelle je me battrai corps et âme pour obtenir ce qui nous revient de droit, à tous. Le bonheur.