(c) regina

Marquis... Tel était ta destinée récemment bouleversée par le dessein de tes parents souhaitant fiancer ton aîné à une fille d'Outrevent. La perspective t’effraie et tu ne parviens pas à écarter ces pensées de ton esprit. Tu sens déjà tes frêles épaules se courber sous le poids accablant de tes futures responsabilités. Toi, Laurent de Brunante, le tendre et docile Laurent, se retrouvant forcé à assumer un fardeau bien trop lourd que qui n'était pas supposé t'appartenir. Toi, le complice indirect des manigances de tes géniteurs, se voyant accablé par un futur bien trop important pour le second fils Brunante que tu étais.
Agenouillé auprès du feu, tu observes le brasier, impassible. Tu brûles intérieurement autant que les braises qui se consument devant tes yeux innocents. La chaleur des flammes atteint ta peau et tu voudrais exploser. Ton esprit divague et tu ne cesses de penser à Louis. Le brave Louis, l'audacieux Louis. L'admiration que tu lui portes est inébranlable, mais tu sais que votre relation sera éternellement changée quand il apprendra la cruelle décision de vos parents. Votre proximité s'était déjà effritée à la suite de son départ sur les mers, et même si ces déplorables fiançailles le scellaient à présent à la terre, tu sais que tu ne pourras pas effacer sa rancœur. Qu'allez-vous tous devenir ? Tes jours heureux te semblent si loin... Le bonheur même semble s'être écarté de toi au même titre que ton héritage s'emparerait bientôt de toutes tes libertés. Comment tout avait-il pu changer aussi rapidement ?
Ta vie était si paisible à l'époque. Tu étais certes soumis à une éducation digne de celle d'un fils de ton rang, mais elle te promettait de belles choses et rien qui ne s'apparentait à ton présent. Vous étiez une famille unie et soudée et tu récoltais avec gratitude l'amour de Marisa, ta mère qui parvenait à combler l'absence de ton père, Léopold, voguant perpétuellement sur l'océan. Souvent, tu partais en Outrevent avec elle et ta tante, Freyja. Tu vivais. Mais cet allégresse passée n'était qu'une lueur qui brillait loin de tes yeux d'enfant, maintenant. L'enfant que tu étais toujours, pas le futur Marquis de Brunante. Tu observais le monde avec ton insouciance de cadet qui n'était pas prédestiné à ce rôle, contrairement à ce que semblaient penser les détenteurs de ton existence. Mais tu avais suivi les mêmes apprentissages que ceux de ton aîné et tu étais dès lors apte à régir le domaine de ton père. Tu souhaitais tout oublier : de tes capacités à manier une épée à ton savoir, de tes bonnes manières jusqu'à ta seule utilisation de la parole. Tu souhaitais renier tout ce que tu étais et fuir, et vivre comme tu le faisais auparavant.
Tout ce à quoi tu t'étais toujours accroché venait de s'écrouler et n'arrangeait rien aux préoccupations actuelles du peuple d'Arven, qui étaient les tiennes par la même occasion. Toi, Laurent, fils de Brunante, tu es aussi fils d'Arven et tu souhaites renverser le Tyran qui règne sur l'empire. Bien que tes positions n'aient jamais réellement affirmées, tu œuvres en silence et fait de ton mieux pour aider les rebelles à qui tu as donné ton allégeance. Tu ne parviens d'ailleurs pas à comprendre les raisons qui ont poussé la promise de ton frère à rejoindre le palais pour prétendre à épouser Augustus. Tu perds confiance en tout, tu perds confiance en toi.
Le retour de ton frère sur les terres d'Ansemer approche et tu as peur. Les questions se bousculent dans ton esprit torturé mais tu ne parviens à leur donner aucune réponse. Quand votre condition se rétablira-t-elle ? Tu penses pouvoir répondre à seule cette interrogation : jamais. Louis reviendrait, il se marierait à Lisbeth d'Outrevent et toi, tu deviendrais Marquis. Pourquoi alors lutter contre l'inévitable quand aucune issue ne se présentait devant nous ? Il n'y avait que des flammes, qui s'agitaient devant tes yeux. Des flammes qui brûlaient ta vie, des flammes qui te brûleraient à jamais. Mais un autre feu brûlait en toi : celui de la révolte. Mais jamais tu ne pourrais protester avec suffisamment de force contre ce sort qui t'attendait. Tu n'étais que Laurent, homme à l'âme d'enfant, cet enfant à l'âme frivole qui n'était pas prêt et qui aspirait à ces beaux jours qui défilaient derrière lui. Ces beaux jours aux inquiétudes qui paraissaient si futiles à présent.
Ta main caressait la lame de ton épée et des larmes vinrent s'installer au coin de tes yeux. Tes motivations étaient vaines et tu ne pourrais décemment pas défier l'autorité de tes parents. Seule demeurait en toi cette rage inavouable, cette colère contre un destin que tu ne parvenais à accepter et cet espoir inaltérable qu'un jour, tout finirait pas s'arranger. Mais tu étais Laurent de Brunante, Marquis héritier du domaine de Brunante, l'union de ton frère avec Lisbeth d'Outrevent serait bien scellé et tout allait irrémédiablement changer. Tu deviendrais, malgré toi, l'homme que l'on voulait que tu sois.

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