Chantebrise est un bel endroit où naître. Caressé par les vents de mon royaume, c'est un paysage empli de falaises et d'océan, un lieu près du ciel où l'on se sent proche de cette nature qui nous a façonnés. Ceux qui ont grandi là-bas parlent des bourrasques sauvages du vent du Nord comme ils évoquent les caresses enfiévrées de leurs amantes, et nos orages tumultueux ne sont guère que les cris du cœur d'un peuple fier et droit.

Je suis le fils d'un orfèvre réputé, bien connu à la cour du défunt roi Lionel pour le talent de ses doigts et la compétence de ses mains. On la maria à Bérénice, douce et délicate, fille unique du baron de Chantebrise dont le domaine périclitait et qui avait besoin de la richesse de mon père pour assurer la survie de ses terres. Mon père y gagna un titre de noblesse et ma mère put conserver son douaire – néanmoins, elle ne lui pardonna jamais, pas plus qu'à son père, cette union qu'elle subissait comme une véritable mésalliance.

Je suis né dans cet ouragan conflictuel, quelques minutes avant ma sœur. Notre enfance est peuplée de nos landes et de nos falaises – ma mère a toujours eu en tête de me faire l'héritier du domaine, mais c'est l'orfèvrerie qui m'appelait, la joaillerie qui coulait dans mon sang, et Blanche savait bien qu'un jour viendrait où je lui abandonnerais Chantebrise. A quatorze ans, j'ai réussi à me faire embaucher comme apprenti auprès de l'un des orfèvres ducaux avec la bénédiction de mon père. Je prenais plaisir à reproduire ses délicates créations, et le travail du métal m'emplissait d'une sérénité souveraine que je ne trouvais nulle part ailleurs. Mais voilà, la formation la plus qualifiée ne pourrait me venir que des maîtres erebiens auprès desquels mon père avait finalisé son art : il me faudrait en passer par là si je voulais atteindre, moi aussi, l'apogée de mon métier.

J'ai toujours hésité à m'en aller sur les routes d'Arven – ma sœur si fragile aurait sûrement besoin de moi, alors je suis resté... Resté... resté... jusqu'à la mort ô combien suspecte de notre duc devenu Roi. Une part de moi a confusément senti que Chantebrise, c'était fini pour moi – refusant de courber le front devant cette parvenue que l'on osait appeler reine, j'ai plié bagage et je me suis lancé sur les routes vers l'Erebor, ma fiancée à mes côtés. Quelle idée d'avoir voulu nous marier – une lubie de ma mère, mais elle et moi savions bien qu'en prenant ainsi le large nous mettions fin à cet engagement ridicule. Eléonore mérite un homme qui l'aimera vraiment, et moi... Moi, je cherche, dans l'horizon qui s'enfuit, le visage entraperçu de celle qui hante mes rêves.

J'arrive.