« Éléonore ? Elle a pris tant de son père que de sa mère et peut changer d'humeur d'un moment à un autre. Elle est en règle générale d'une humeur agréable à vivre, rieuse, curieuse de tout. Mais elle est aussi tenace que sa mère, aussi têtue et bornée qu'un âne de bat. Quand elle a une idée en tête, il est très difficile de la faire renoncer. Si elle désire quelque chose, elle fera tout pour l'obtenir, de quelque manière (honnête, bien sûr!). Elle n'en reste pas moins influençable sur bien des points, comme si une part de naïveté restait en elle pour contrebalancer son côté frondeur. Elle peut se montrer aussi terriblement étourdie, oubliant les choses qu'on vient de lui dire. Ce n'est pas que ça ne l'intéresse pas, loin de là, mais si une idée fixe occupe son esprit, comme cela arrive bien souvent, elle est incapable de se concentrer sur autre chose. Cette insouciance a sûrement fait pousser de nombreux cheveux blancs à son père... Cette insouciance et son audace exacerbée ! Éléonore ose tout ou presque et si une chose rend presque fou son père et fait sourire sa mère, c'est sa passion pour l'escalade. Personne n'a jamais réussi à l'empêcher de grimper à peu près où elle voulait. Et les arguments disant que ce n'est pas digne d'une fille, que les gens diront d'elle qu'elle est mal éduquée, que personne ne voudra épouse une fille qui n'écoute pas son père ; tout ces arguments-là, elle les balayait d'un haussement d'épaule et continuait quand même à faire grimpette. Oh, maintenant, la demoiselle s'est assagie, mais quand elle a besoin de s'isoler ou de réfléchir, elle trouve toujours un endroit haut perché où se caler confortablement. Et depuis qu'elle vit en Ansemer, elle regrette de ne plus pouvoir s'essayer à l'escalade des falaises pour ensuite contempler la mer à son aise.

Aussi généreuse que rancunière, la jeune femme donne facilement et sans compter. Mais si vous la blessez une fois, elle saura s'en souvenir et vous rendre la monnaie de votre pièce. Cela dit, c'est une personne sincère et qui ne s’embarrasse pas de faux semblant. Si votre tête ne lui renvient pas, elle ne fera pas semblant. Elle ne jettera pas de pierres gratuitement, mais elle ne minaudera pas afin de  paraître comme une bonne fille agréable. Éléonore est en réalité typiquement le genre de personne à foncer et poser les questions ensuite. Si quelque chose ne lui convient pas, elle ne se généra pas pour le faire remarquer, quoi ce que soit, sans pour autant en tenir rigueur dans le temps. En réalité, il faut vraiment la pousser dans ces derniers retranchements pour qu'elle décide de vous rayer totalement de sa vie.

Son père, lui a légué un esprit pratique et vif. Elle a appris en côtoyant son amie Lisbeth d'Outrevent les bases de la lecture, de l'écriture et du calcul et c'est avec force d'acharnement qu'elle s'est perfectionnée. Sans pouvoir prétendre au niveau d'instruction de son amie de toujours, elle peut se vanter d'avoir accès à de nombreuses connaissances et curieuse de tout, elle s'invitait souvent pour dévaliser la bibliothèque ducale, avec la complicité de Lisbeth.  C'est Éléonore qui a longtemps tenu les comptes de son père. Il lui a aussi appris à écouter : enfant, elle adorait entendre son père raconter sa journée ou tout autre événement anodin. Sa voix posée et calme l'envoûtait, comme des années auparavant elle avait envoûtée Naïma, sa mère. Il savait mettre des images sur les mots, des couleurs. Ainsi, à son contact, elle a appris à manier le verbe et la gouaille des marchands. Elle est capable de négocier n'importe quoi et arrive le plus souvent à sortir gagnante d'âpres négociations.

Elle reste néanmoins une jeune fille sensible et rêveuse. Souvent, elle se perd dans des songes de romance digne des plus beaux livres d'Arven. Si autrefois, elle se rêvait au côté d'un fier chevalier ou chevauchant dans le désert en compagnie d'un gitan farouche et vivant de palpitantes aventures, son mariage a opéré un brusque revirement dans son caractère. La vie a fait que ses rêves ne se sont pas réalisés comme elle l'aurait voulu. Mariée à un homme qu'elle ne voyait que comme un ami, elle se retrouve propulsée dans le monde de la noblesse de façon inattendue et si côtoyer cet univers depuis de nombreuses années lui permet de s'y couler avec plus de facilités qu'une véritable parvenue, elle reste néanmoins réfractaire à toutes les règles qu'elle devrait supposément suivre maintenant devenue une Dame. Elle se conforme cependant bon gré mal gré à ce qu'on attend d'elle. Elle continue de se perdre dans ses rêveries sans fin, mais essaie de tempérer son tempérament frondeur.

C'était sans compter sur l'indéfectible Lisbeth qui lui a proposé de devenir une de ses Dames de compagnie, ce qui paradoxalement la libère de bien des contraintes. Avec Lisbeth, elle peut enfin redevenir elle-même, sachant parfaitement que dans l'intimité, Lisbeth ne sera jamais choquée de voir sa nature prendre le dessus.