Marjolaine est l'aînée d'une famille comportant quatre sœurs : Violaine, Madelaine et Romaine sont ses cadettes. Famille aristocrate, famille prestigieuse, les Sombre-Lys ont toujours fait partie des habitués de la cour d'Edenia. Dès son plus jeune âge, Marjolaine compta au nombre des compagnes de la petite dauphine Cyselle, d'abord comme demoiselle de compagnie, puis comme confidente alors que les deux adolescentes grandissaient. Marjolaine était réputée naguère comme jeune fille bien éduquée, intelligente et droite, respectueuse et courtoise. Ses parents, frustrés de ne pas avoir de fils, reportèrent sur elle toutes leurs attentes et leurs espoirs, établissant clairement que celui qui épouserait un jour Marjolaine porterait le nom des Sombre-Lys et perpétuerait la lignée, en même temps qu'il deviendrait l'héritier du comté tout entier.

Tout bascula l'année de ses quinze ans. Il y avait fête au château d'Edenia : la duchesse régnante Cyclamyde recevait en grande pompe l'ambassadeur cielsombrois, et la fête dégénéra quelque peu tant circulaient à flots les substances récréatives si prisées des natifs de Sombreciel. Marjolaine se souvient mal de ce soir-là : elle se rappelle des coupes, des rires, de la musique, et des coups. De ses mains clouées au sol par des inconnus bien plus forts qu'elle, de leurs plaisanteries cruelles, de leurs griffures, de leurs doigts sur sa peau - de la douleur entre ses cuisses, du sang et de la honte, du sel de ses larmes et du choc terrible. Elle n'en souffla mot à personne, pas même à Cyselle, pendant quelques semaines - puis, un funeste jour, il ne fut plus possible de cacher ce ventre qui s'arrondissait de plus en plus.

Fille-mère. Scandale. D'autant plus retentissant que la famille était très bien vue et hautement placée - c'est en tête-à-tête avec la duchesse couronnée que Marjolaine put finalement mettre des mots sur ce qui lui était arrivé. Violentée. Déflorée. Engrossée. Humiliée. Dénigrée par ses parents, critiquée par les bonnes gens, jugée par tous ces nobles qui avaient commis bien pire que le crime de sa seule faiblesse qui la condamna à subir la cruauté égoïste de ces hommes étrangers, Marjolaine se trouva bien isolée. Elle perdit l'enfant peu deux mois avant son terme - à seize ans, et avec le seul soutien de la duchesse et de sa fille Cyselle, Marjolaine fut peu à peu mise au ban de la société. Toute perspective de mariage glorieux avait disparu ; sa famille s'émigra en Cibella pour fuir le scandale en l'abandonnant à la cour d'Edenia aux bons soins des domestiques. Sa grossesse, même avortée, l'empêchait de rejoindre les dames d'honneur de Cyselle censées être des modèles de vertu - aussi, lorsque son amie partie à la cour de Lorgol pour s'y établir auprès des nobles constituant l'entourage de l'Empereur, Marjolaine la suivit pour s'en aller taper à la porte de la Guilde des Guerriers.

Révoltée, ivre de revanche, brisée et désabusée, honteuse de n'avoir su se défendre, elle ne voyait plus que cette solution-là pour s'en sortir : devenir forte. A la Guilde, on lui rit au nez : pour accepter un garçon de 16 ans, il fallait qu'il soit doué au combat, alors une fille inexpérimentée, aucune chance ma belle, rentre chez toi et marie-toi ! Aiguillonnée par cette injustice, Marjolaine s'en aller quérir l'aide de Cyselle. Son amie lui procura un maître d'armes discret, et pendant trois années, sans trêve ni repos, Marjolaine s'entraîna. Inlassablement.

L'année de ses dix-neuf ans, elle s'inscrivit au Tournoi de l'Arène sous un faux nom, y participant travestie. Elle ne le remporta pas, mais s'y distingua par son agilité qui compensait sa frêle carrure. Approchée à l'issue des combats par un recruteur de la Guilde, elle consentit à l'intégrer - puis révéla sa nature de femme et son identité réelle. Sans pitié avec ceux qui tentèrent de se jouer d'elle, elle gagna petit à petit le respect des autres guerriers, et se fit un nom sur le sable de l'arène, devenant l'une des rares femmes à y parvenir. Meurtrie par son passé, elle refusa toujours d'ouvrir ses draps aux hommes, effrayée par leur cruauté et la douleur qu'ils sont capables d'infliger.

Puis l'Empereur fut renversé, et Cyselle devenue son épouse repartit pour Lagrance avec leur enfant tandis que lui emmenait la Guilde des Guerriers vers Bellifère. Indécise, Marjolaine finit par s'attacher aux pas de son amie de toujours et se voua à sa protection une fois revenue à ses côtés dans les jardins de Lagrance où elle n'avait plus remis les pieds depuis plus de dix années. Lorsque Cyselle fut chassée par son peuple et que Denys du Lierre-Réal devint roi à sa place, Marjolaine resta à Edenia, jurant de tout faire pour réhabiliter Cyselle sur ce trône qui lui revenait de droit. Et lorsque Denys ramena cette cielsombroise comme fiancée, Marjolaine demanda à être affectée à sa protection, cherchant un moyen d'employer la nouvelle princesse comme outil pour déchoir Denys. Elle n'avait pas prévu de s'attacher si fort à la malheureuse fiancée - mais sa mission reste bien claire dans son esprit.