Courrier au Fils des Ombres
Date : 15 octobre 802

Ô Fils des Ombres,

Pour une telle tâche, je me dois de vous écrire ceci. J’ai retrouvé, dans les jardins de Castiel de Sombreflamme, la Reine Svanhilde Nightingale prisonnière d’un cristal. Ce cristal, je le vais dérober au nez et à la barbe de toute la Cour du Roi de Sombreciel mais je ne peux pas faire ça seul. Le vol est trop important.
Je me permets de demander de l’aide puisque je suis persuadé qu’un tel vol vous intéressera certainement.

Ayden Revrec, dévoué voleur

Lettre à Ayden Revrec
Date : 15 octobre 802

Ayden

J'ai bien lu les mots que vous m'apportez là. Il m'est d'ailleurs surprenant d'apprendre que le Roi de Sombreciel se permette de garder une telle merveille dans ses jardins. Vous avez mon accord et ma bénédiction pour procéder à ce vol. Veuillez cependant attendre mon envoyé de Lorgol.

Pour ce qui est l'envoi de mains supplémentaires, je m'occupe de rallier auprès de vous les voleurs qui seront, j'en suis sûr, capable de vous aider dans cette tâche.

En espérant avoir rapidement des informations sur cette affaire,

Le Fils des Ombres



Lettre à Shamar Chant-if
Date : 15 octobre 802

Shamar

Suite à une affaire importante qui se déroulera bientôt dans les murs d'Euphoria, je souhaiterais votre présence là bas au plus vite. Une fois sur place, contactez Ayden Revrec, instigateur principal de la mission, il s'occupera de vous expliquer.

Puisse les Ombres guidez vos pas au plus vite.
Le Fils des Ombres

Nous y sommes, ce soir, c’est le grand soir. Avec quelques autres, je vais dérober le cristal contenant le corps de la Reine Svanhilde Nightingale. Philosophe m’aide, la situation, l’entreprise l’amuse. Il a pu parler à d’autres dragons dont j’ignore tout. Il est enchanté et je dois dire que là, moi aussi. Entre nous, pas de problème pour ce vol, il marche avec moi.
Je sais qu’on m’envoie des renforts et c’est bien tout ce qui m’importe. Invisible, Philosophe pas loin, j’attends encapé et dissimulé que les dits renforts arrivent. Je connais le chemin pour accéder à ce cristal comme ma poche, je connais l’emplacement et le mécanisme. Le Roi de Sombreciel va apprendre, comme tout un chacun qu’il n’est pas à l’abri de la Cour des Miracles. Je vais faire un coup dont on se souviendra, les voleurs en rageront autant qu’ils le pourront.

* Avoue que la situation t’amuse mon petit Ayden. Jamais tu n’as tant apprécié m’avoir à tes côtés. Regarde comme il m’est facile de t’aider et de te faire apprécier mes interventions. Ils arriveront vite, très vite avec l’aide de quelques amis. – J’admets que j’y ai mis de la mauvaise foi mais tu me facilitais pas la vie non plus. Maintenant laisse-moi me concentrer, j’entends du monde qui arrive. *

Je ne suis plus invisible, j’ai besoin d’un contact avec Philosophe, j’ai besoin de savoir si ces gens sont biens ce qu’ils prétendent être. Ce plan, je le dois autant à Philosophe qu’au Fils des Ombres et de l’aide qui m’arrive de la façon la plus étrange qui soit.
Encapé, dissimulé dans l’ombre, j’attends l’arrivée de mes complices. Je n’ai jamais commis pareil vole et même si j’ai toujours été audacieux, là, je m’apprête à faire le plus beau des coups et je suis fier même si de l’aide m’est apportée par Philosophe, après tout, on prend l’aide qui vient. Qui ne profite pas est un idiot alors je profite et lui s’amuse, on y gagne tous les deux. Je me demande ce qu’y gagneront les autres mais on ne refuse jamais une telle opportunité quand on est un voleur.

J’ai hâte, je suis impatient, mon corps est tendu, je ne souhaite qu’une chose, m’élancer vers les jardins et voler la Reine au Roi. Dans le fond, c’est amusant. La Reine du Royaume de la magie, volée avec sa prison par des voleurs aidés d’un dragon…

Euphoria, pourquoi me retrouvais-je encore une fois ici alors que j'avais bien d'autre chose à penser. Et pourtant, l'appel à l'amusement était des plus fort. Mais là n'était guère le temps et il me fallait me presser. Le temps défilait et avec lui le ciel se couvrait de la sublime couverture marine. Bientôt les étoiles viendraient couronner le firmament majestueux, protégeant notre action par sa sainte offrande des ténèbres. La meilleure des armes pour nous les voleurs, la plus utile, celle qu'on attend le moins. Il était dans notre talent de savoir utiliser les éléments, tous autant qu'ils soient. Et en ce soir sombre, cette nuit sans lune, j'avançais d'un pas discret mais rapide, me faufilant entre les bâtisses jusqu'au point de rendez vous qui avait été donné. Rendez vous que j'avais moi même donné. Fils des Ombres, personne ne le savait, aucun de mes futurs compagnons ne sauraient ma présence dans leur rang pour ce vol qui valait bien tous les risques à prendre. Mais en ce soir oui, je ne serais pas le Fils des Ombres. Simple voleur, connu sous le nom de Hiémain, comme il se devait, rien de plus, rien de moins.

Je stoppe ma marche, quelqu'un vient. A l'ombre d'un mur, je me dissimule, invisible, maitre dans l'art puis je reprend, une fois le possible danger passé. Pas question de laisser une occasion de se faire repérer. Je repense à ce garçon qui m'a envoyé cette lettre, la surprise qui m'a pris lorsque j'appris que de Sombreflamme ce permettait de garder dans ses trophées ma Reine. Elle n'avait certes pas mon allégeance, mais en Gallien reconnu, je ne pouvais laisser Svanhilde Nightingale prisonnière du palais de Sombreciel, qu'elle soit bien traitée ou non.

Il me souffle dans la tête, je souris sous cape aux commentaires détachés de Stellaire qui apprécie grandement le spectacle d'une telle ampleur. Sans parler qu'il avait l'occasion d'observer un peu ce monde qui le faisait rêver. J'appréciais ce dragon que j'avais accueilli en moi. Retissant qu'un être comme lui partage mes pensées dans un premier temps, je ne peux que constater le plaisir des discussions que j'entretiens avec lui. C'est d'ailleurs là qu'il murmure, sur le ton du secret bien qu'étant le seul à l'entendre, qu'une présence humaine se place à l'orée du palais. J'observe, je laisse un temps passé, puis, ma cape au vent, je flotte presque jusqu'à lui dans un silence pesant. Était-ce bien mon homme ? Celui qui m'attendait ? Celui qui, en premier, avait découvert le cristal de Svanhilde Nightingale ? Peut-être, peut-être pas.

Quelle ne fut pas ma surprise en recevant cette missive. Convoqué par le Fils des Ombres en personne par une lettre envoyée et reçue le même jour. Comment cela était-il possible ? Je ne voyais qu’une seule solution mais je laissais mes supputations à plus tard, il y avait plus urgent. Pourquoi moi d’ailleurs ? Je n’étais pas réellement dans la guilde après tout. Étant déjà à Euphoria, je n’avais aucun mal à rejoindre le lieu du rendez-vous. Lieu isolé, en pleine nuit, voilà qui était un bon point de départ et j’étais flatté. Flatté mais pas seulement. Mon demi-frère avait tout de même du culot de maintenir ma Reine dans un cristal.
Je ne connaissais ni les tenants, ni les aboutissants mais en plus de veiller sur Resa, je chercherais un moyen de la sortir de là. Si toute fois j’en avais la possibilité.

Avant tout, il fallait voler ce cristal, cristal renfermant une vie. Tout du moins, je l’espérais. Me précipitant d’un pas agile et léger, j’arrivais juste à temps pour voir deux hommes se faire face. De noir vêtu tout deux, se dissimulant avant que je n’ai le temps de les apercevoir, aucun doute. Via quelques lettres courtes échangées, Ayden m’avait révélé l’essentiel et j’étais une sorte d’assurance en arrivant ainsi peu après. J’avais la main heureuse.
Je remerciais la Chance et la priait d’être avec moi en cette nuit de larcin fabuleux. Aucune autre Puissance ne pouvait nous aider mais nous contrer… Je priais donc la Fatalité de ne pas nous mettre de bâton dans les roues et je rejoignais mes comparses.

Activant le pas, je fus rapidement à leur côté. D’une simple phrase, le visage en partie dissimulé comme je le faisais souvent, je m’assurais qu’il n’y avait ici que des invités du Fils des Ombres. La fuite, s’il devait y avoir, serait ici très aisée.
Peut-être aurais-je dû tenter de dire quelques mots mais nous n’avions pas toute la nuit. J’espérais encore que ce problème d’élocution désagréable serait de courte durée. Plus qu’agaçant, la chose était frustrante.

Main sur quelques poignards au cas où, j’attendais l’assentiment. Le premier à réagir fut le grand jeune homme encapé, le reste suivi naturellement, jusqu’à ce que d’autres pas se fassent entendre. Attendions-nous encore quelqu’un ? Je l’ignorais et peut-être en était-il de même pour les deux autres à mes côtés.
Je me tenais prêt à réagir mais pas prompt à agir. Ne jamais confondre prudence et précipitation. C’est ainsi que l’on commet des erreurs et un Chante-If n’en commet pas, surtout s’il est appelé par le Fils des Ombres.

« Petite, l'un des miens vient de me présenter une requête qui te permettrait de nuire à ton ennemi. »

« Nuire à Sombreflamme ? Comment ? »

« En lui dérobant quelque chose qu'il conserve jalousement. Je vais te permettre d'emprunter un portail magique – traverse-le, et emmène-nous à Euphoria. »

« Que faire ensuite ? »

« Tu vas rejoindre les Voleurs. Le Fils des Ombres a besoin de toi, mets-toi aux ordres de son envoyé, il parle pour ton Roi. Et ton ennemi en souffrira. »

Jubilation. C'était ce matin, et j'attends depuis que la nuit tombe, dans les ruelles d'Euphoria. Aux derniers rayons du crépuscule, j'ai quitté l'auberge où j'ai retenu une chambre. Je vois, de là où je suis, nombre de personnes se rassembler discrètement dans un endroit où seul un Voleur irait regarder, près du Palais. Ils portent tous du noir – d'amples capes, de vastes capuchons, certains même vont masqués. Je ne leur ressemble pas, et alors que je m'avance pour les rejoindre dans le chuintement feutré de mes bottes souples, ils en prennent conscience également. Nous obéissons au même Roi, ce Fils des Ombres que je révère, mon Erhme'l – mais eux tous sans presque d'exception sont des Voleurs, alors que je suis une fille des Gitans, une bohémienne du sable et du roc. S'ils cachent leurs visages et leurs corps, s'ils vont incognito pour préserver leur renommée, je ne suis pas soumise à ces aléas et je suis fière d'être ce que je suis, c'est donc parée de la tenue traditionnelle des seigneurs des sables que je suis là ce soir. Je l'ai simplement choisie noire, pour ne pas détonner dans l'obscurité, laissant offerts aux regards l'ébène de ma chevelure et l'encre profonde de mes prunelles. D'un signe de tête, je présente mes respects à l'assemblée – je l'accentue en croisant le regard sombre d'un homme portant les habits des Gitans des glaces, nos frères de Nightingale.

« Salutations. Je suis Resa, et c'est en tant que gitane que je réponds à l'appel du Fils des Ombres. »

Un instant, je marque une pause – le temps pour Géhenne de me souffler quelques mots. Il y a quelques Écrins dans cette assemblée, et je perçois un instant l'image qu'il me transmet, celle d'un empilement d'une poignée de Dragons grattant nonchalamment leurs écailles, étendus côte à côte au flanc boisé d'une colline, observant par nos yeux, vibrant par nos sens, emplis d'amusement et de curiosité. Puis Géhenne me renvoie d'une pichenette dans ma propre tête, et je m'aligne au sein du groupe.

« Il me semble que j'étais la dernière. Je suis prête. »

Le palais royal nous attend – ô combien j'ai hâte de dérober à cet impardonnable voleur son précieux trésor.

L’envoyé du Fils des Ombres est là, l’homme avec qui j’avais dû m’arranger était là aussi. Philosophe m’annonçant que l’envoyé du Fils était un écrin lui aussi. Ah… Deux Dragons dans la combine. Je savais que Philosophe avait pris le parti de demander un peu d’aide aux siens mais pas qu’ils avaient répondu. Pourtant, il m’annonce que ça n’est pas tout, quelqu’un d’autre doit arriver.
Il ne m’a pas révélé les noms, je ne sais pas non plus combien. Il reste secret et s’en tient à ses affaires généralement. S’il prend part aux miennes ce soir, c’est simplement car ça l’amuse, il me l’a certifié.

Philosophe est moi, il attend, acquiesce même à la phrase de l’homme qu’il reconnaît comme un gitan des glaces. Il m’explique certaines choses au fil de ce qui se passe. Et alors que des pas retentissent, Philosophe ne bouge pas, il sait qui arrive et je sens mes lèvres esquisser un sourire.
Il se tient tranquille, trop de monde doit arriver. Pourtant, il s’en fiche de jouer mon rôle ici, d’ailleurs, je le sens qu’il se retire, je suis de nouveau aux commandes de mon propre corps et je suis visible.

* Il te faut la pleine possession de tes moyens de voleurs et tes réflexes seront bien meilleurs. Ne va pas croire que ton invisibilité ne reviendra pas quand tout cela sera terminé et que nous serons de retour à Lorgol. *

J’avais compris que cette faveur n’était que provisoire. Il veut être spectateur. Et bien qu’il matte. Le vol de ce soir va être grandiose.

« On attend encore un peu de monde, on a besoin de beaucoup de bras pour ce qu’on va faire. Je connais le chemin comme ma bourse mais j’expliquerais tout quand tout le monde sera là. »

J’ai vu et Philosophe a vu le gitan des glaces ôter son capuchon et son masque. Il connaît déjà le plan mais son attention n’est pas entière. Il braque sur la nommée Resa, un regard surpris, doux et ô combien protecteur. Philosophe est meilleur juge que moi. Pourtant le gitan s’abstient en voyant arriver d’autres gens. Masqué ou non, tous habillé en noir ou en couleur sombre. On est un peu plus d’une vingtaine.
Je sais que le déplacement du cristal d’Euphoria à Lorgol incombera à l’envoyé du Fils des Ombres et à moi. Je ne sais pas comment, ni pourquoi nous mais c’est le plus censé.

Tout le monde est là ou presque, rapidement, très rapidement, à croire qu’ils attendaient le gros du rassemblement…

« Je vais prendre les devants, je connais le chemin et le mécanisme. Pas de bruits et tenez-vous prêts, ça va être mémorable. Mais surtout, on amoche pas le cristal. » »

Il suffit de lever les yeux pour s'apercevoir de la beauté des cieux ce soir. Stellaire se laisse porter par ce sentiment qui habitait mon propre cœur, et au travers de mes yeux, il s'exclame de sa voix lente de la mauvaise qualité de mes sens. C'est amusant oui, il me fait presque sourire alors que c'est lui qui m'avait demander de lever les yeux et d'observer les divers astres de la nuit. Et pourtant, mon esprit aurait du se focaliser sur l'action présente, sur ces personnes qui autour de moi se rassemblaient, grande assemblée de noir localisée devant le palais d'Euphoria en ce soir sublime. Le vent est doux, la nuit serait favorable pour notre éclat contre Sombreflamme, j'en étais presque sûr. Tout se passerait bien oui, sans un accroc.

J'observe l'homme en face de moi. Plus les secondes passent, plus je prend confiance en lui, devinant que ce visage sombrement dissimulé serait avec moi le second chef de cette expédition. Je ne pouvais laisser le commandement total, il aurait été idiot de ma part d'envoyer un homme en mon nom pour faire à proprement parler figuration. Je vois un homme arriver, sombre silhouette dans la nuit, je devine la démarche des gitans des glaces, et ainsi il me paru évident qu’il s’agissait de Shamar. Et je devais bien avouer que le talent de ce garçon méritait amplement sa place dans nos rangs. A vrai dire, tous ceux qui allaient se rassembler étaient murement choisi, et pour un vol de cette grandeur, il n'était pas question de laisser ça aux mains des plus jeunes.

« Que le Destin et les toutes Puissances soient avec nous oui. »

La chance se devait d'être avec nous. Il n'était guère question d'échouer. Je n'avais pas encore eut le temps à ce jour de m'entretenir seul à seul avec Ayden, mais je ne doutais pas de ses capacités, et si ce jeune homme avait pris la peine de me contacter pour quémander mon aide, il avait en toute logique des choses mené une réflexion sur la manœuvre à suivre. En tous les cas, sur le plan des lieux, il était le seul à savoir parfaitement comment rejoindre le cristal. Peu à peu, les autres nombreux voleurs se rassemblèrent. A vu d'œil, nous devions être une dizaine au cœur de la nuit. Le compte y était presque.

Pourtant une dernière personne vient rejoindre notre petit groupe, qui se présenta comme Resa, représentante d'une tribu gitane. Je n'ai pas de mal à faire le lien, les souvenirs de Stellaire reviennent me hanter calmement, et je revois la scène que quelques heures auparavant il m'avait révélé. Ce n'est donc guère une surprise pour moi, et aussi chaleureusement que possible, je la salut.

« Bienvenue à toi Resa. Le Fils des Ombres, et en son nom je parle, te remercie de cette aide que tu apportes avec toi. »

Et alors que Ayden se met à parler, j'écoute. Devais-je rajouter quelque chose ? Non, il n'y avait là pas besoin de plus de mot, le jeune homme avait été assez clair. Un seul moment, et bientôt je récupérerais Svanhilde Nightingale.

En ce lieu et en ce jour, je pensais dérober à mon demi-frère ma Reine. Pas celle de mes racines, mais celle de mon âme de Chante-If. Je m’étais préparé à faire cela en toute connaissance de cause, avec prudence et réflexion. Nul ne saurait que je fus présent le jour où la Guilde des Voleurs mis la main sur le cristal renfermant Svanhilde Nightingale ; Reine du royaume de Nightingale régenté par Castiel de Sombreflamme, Roi de Sombreciel et mon demi-frère ; mère de Sigal Nightingale dont le cœur appartenait à Sigvald Nightingale. Oh… tout cela n’aurait sans doute jamais dû être connu d’un gitan des glaces mais tel était mon talent, ma capacité à me faire des contacts. J’avais de multiple talent mais sans conteste, j’avais une facilité hors du commun à mettre sur pied un réseau de contact. Après tout, quand on passe sa vie sur les routes, mieux vaut savoir où on va et avec qui on a à faire.
Mais en ce lieu et en cette heure se trouve ma sœur. Mon cœur et mon âme saigne à l’instant car l’endroit n’est aucunement propice à une discussion, ni même à des retrouvailles. Je me suis cependant découvert le visage. Je dois lui laisser une chance de peut-être reconnaître en moi son propre sang. Je n’ai pu m’empêcher de murmurer son nom bien que la chose me fut compliquée, ce surnom que je lui ai trouvé quand nous étions petits et je sens bouillonner en moi la rage du soir où j’ai appris qu’elle ne serait plus jamais à mes côtés. Pour effacer cette rage brûlante, je repense aux chemins enneigés de Nightingale, le feu retombe, je me contrôle. Ça n’est pas l’heure…

Je me décale, me positionnant ainsi plus près d’elle sans envahir son espace. Elle ne me reconnaîtra sans doute pas et je ne désire pas qu’elle me prenne pour un importun, elle aura déjà sans doute assez de mal à accepter que je ne l’ai pas rejointe avant que l’appel de la vengeance ne lui enflamme le cœur.
Ma sœur, Resa, ma rose du désert. Elle est le feu, je suis la glace. Elle est l’étincelle, je suis le vent portant. Elle est la partie de mon âme que j’avais perdue, pourvu que je sois assez fort pour la protéger de ses désirs de vengeance.

Je me reprends… Je lève la tête et couvre à nouveau la moitié de mon visage.

« P... p.. prêt. » Même ce simple mot me demande des efforts considérable. Si la détermination n’est pas présente dans ma voix, elle se lit dans mes yeux à la lueur de la lune, je serais la protection et le calme de ce groupe. Que la Chance nous permette de ne former qu’un. Que ma sœur ne risque rien...

Nous entrons. Nous sommes trente-neuf, je nous ai comptés, et nous nous engageons souplement par l'ouverture dans la muraille. Les voleurs sont silencieux comme leur engagement l'exige, et parmi les gitans nul bruit ne résonne. Cet homme étrange qui parle en bégayant et dont le regard d'encre me vrille semble fort adroit et ses pas ne soulèvent pas plus d'écho que les miens – après tout, les gitans des sables sont tout aussi agiles que les gitans des glaces, la seule différence c'est que nos âmes brûlent et s'enflamment dans une puissance vibration, tandis que les leurs coulent et cascadent dans une lente pulsation.

Géhenne me laisse voir par ses yeux. C'est rare, et je n'entends pas ce qu'ils échangent entre Dragons, mais je les vois gratter nonchalamment leurs écailles tandis que les humains s'activent. Tant de couleurs entremêlées sous les rayons de la lune qui baigne Nigtingale et Sombreciel dans la même nuit. J'aime l'écarlate sanglant de Géhenne – glorieux, plein de ma rage et de ma rancœur, un rouge carmin qui parle à mon âme. « Le Vol de Rubis » me murmure-t-il. Impérial. Un blanc étincelant passe soudain dans son champ de vision – gracieux et digne, un autre Dragon vient de se poser au milieu d'eux, se faisant une place dans leur groupe affalé. « Une Dragonne, et l'une des plus accortes » me chuchote Géhenne. Je ne suis pas vraiment en mesure de juger de la beauté d'une reine du ciel – aussi mon attention se recentre-t-elle sur notre mission.

Nous sommes arrivés dans un jardin empli de lys aussi neigeux que les écailles de la Dragonne aperçue – des lys, magnifiques, qui embaument un parfum suave dans la brise nocturne. Nous nous arrêtons, les regards se fixent sur celui qui nous mène. La chose sous le voile semble monumentale - nous sommes trente-neuf parmi les plus aguerris, les plus fidèles, les plus compétents, tout autant voleurs que gitans, et la tâche me semble colossale. Peu m'importe. Je suis dans le palais de mon demi-frère, cet impie, ce voleur de vie qui a profité de ma mère quand moi j'ai été abandonnée. Je vais à mon tour lui dérober quelque chose à laquelle il tient – puisse-t-il connaître la morsure de l'abandon, l'amertume de la perte.

Un bruit de course attire mon attention, et je perçois l'amusement de Géhenne – une jolie rouquine vient de nous rejoindre, alors que nous nous rassemblons autour de l'envoyé du Fils des Ombres avec lequel j'échange, d'instinct, un sourire.

« Presse-toi mon petit, tu vas être en retard ! Ils ont déjà commencé à se rassembler. »

Presse-toi, presse-toi… Tu en as de bonnes ! Depuis plus d’un mois, je n’ai presque pas eu le contrôle de mon corps alors permets-moi de te dire que je me sens un peu rouillée ! Aucun exercice d’assouplissement, aucun étirement depuis des semaines ! Je suis plus raide qu’un dragon arthritique ! « Perle… » Oui, oui d’accord, je pourrais trouver une comparaison qui mette plus en valeur tes compatriotes. Mais regarde-moi : c’est catastrophique ! Sérieusement, il va falloir qu’on revoit notre accord toi et moi, parce que là… Je ne serais plus bonne à rien d’ici à ce qu’on en finisse avec tes reliques ! Tout juste prête pour la retraite alors que je n’ai pas encore fini mon apprentissage, si c’est pas malheureux ! «Nous en avons déjà parlé. Cette existence ne t’es pas destinée. Ne comprends-tu donc pas les efforts que je fais en ce sens ? Maintenant va, si tu ne souhaites pas que j’intervienne. » Nianiania, nianiania, nianiania. Oui, on en a déjà parlé. Et je ne suis toujours pas d’accord avec tes plans d’avenir ! Je ne… Non, non, d’accord ! Je me tais et je file. N’empêche que je ne suis pas d’accord.

Un regard alentour. Personne. Parfait. Je m’éclipse discrètement de cette chambrette louée le temps de mon passage à Euphoria. Ah le plaisir de sentir mon corps répondre à mes sollicitations. Courir à mon gré, décider de ma foulée, pouvoir tendre le poing vers les étoiles dissimulées dans la brume nocturne… « Courir n’est pas digne d’une marquise. » Par tous les rubans de satin qui retiennent les jupons de Mélusine, Patience, serait-il possible, avec tout le respect que je te dois, que tu cesses de remettre ça sur le tapis (le sujet, pas Mélusine) ? Juste ce soir ! Laisse-moi au moins savourer cet instant à sa juste valeur.

Je sens comme un frémissement. Comme si elle s’envolait de mon esprit pour me laisser seule maitresse de mes pensées. Merveilleux. Une nuit dégagée, un vol grandiose en perspective, et la liberté de mes actions et pensées. Je ne demande rien de plus ! Pas que ce soit particulièrement désagréable de copiner avec une dragonne – quand bien même elle prend mon corps pour sa résidence de vacances permanente – mais je dois bien avouer que ça fait un bien fou de pouvoir n’en faire qu’à ma guise. Et puis, même si elle est… particulièrement patiente justement, Patience a parfois un peu tendance à me taper sur les nerfs. Surtout quand elle parle de noblesse, de dignité et de toutes ces choses qui me font frémir d’horreur. «Je suis toujours là, petite. Et mes compagnons m’informent que leurs humains ont commencé à s’introduire dans le palais. Cesse donc de soliloquer, tu vas les manquer. » Ah ça non ! Hors de question, nom d’un petit dragon ! J’accélère, atteignant les murs, juste à temps pour voir s’engouffrer dans l’ouverture le dernier de cette joyeuse assemblée à qui j’emboite le pas. Quelques derniers pas de courses, une odeur qui me fait plisser le nez – qu’est-ce donc que ces fleurs qui embaument à mille lieues à la ronde ? -, un ricanement saurien et me voilà arrivée, retenant de justesse un éternuement sonore et une exclamation non moins discrète en reconnaissant Ayden au centre de tout ce petit monde.

Du monde, il y en a, c’est clair. Voleurs, gitans, bohémiens, à croire qu’il ne manque personne. Normal cela dit pour un tel vol, qui ne voudrait pas y être ne fut-ce que pour l’objet du vol. Ok, il est aussi question d’une personne mais en attendant, il fallait encore sortir ce machin de là.
Plus notre nombre grandissait et plus on avait de chance de se faire voir. Dans ma tête, Philosophe y allait de son commentaire, me parlant de certains des autres dragons qui nous regardaient. Génial… L’amusement en place public c’était nous. Sérieux, merci Philosophe ! Bon, je supposais que les dragons aussi avaient besoin de divertissements mais si je pouvais éviter d’être le fameux divertissement ça m’arrangerait.

* Pas sûr que ce genre d'exploit plaise fort à ta grand-mère mais elle n'en trouverait pas moins l'ampleur de la tâche fort gratifiante. – T’es mal renseigné, tous mes vieux sont morts ou c’est tout comme. – Que tu es bien ignorant mon petit humain. – Quoi ? – Plus tard… Peut-être. *

J’entrais dans le dit jardin, le jardin des lys, un lieu qui embaumait comme rien d’autre ne le pouvait. Je laissais l’assemblée envahir le lieu sous le couvert de la nuit, restant forcément à côté de l’envoyé du Fils des Ombres. Il était ici le représentant et je lui annonçais chaque chemin et direction à voix basse quand c’était nécessaire.
C’est alors que j’allais reprendre ma marche que j’entends le bruit d’une course précipitée. On ne peut pas avoir déjà été repéré, impossible ! J’en aurais fait une crise de nerfs mais au lieu de ça, je vois débouler une tignasse rousse que je ne connais que trop bien. Par toutes les écailles de Philosophe, c’est pas vrai ! Perle est là, Perle est à la bourre, Perle en qui j’avais toute confiance en matière de vol mais Perle quand même. J’ai failli m’étrangler de surprise et j’ai aussi failli l’appeler tout haut comme à mon habitude quand elle vient de dire un truc que je n’apprécie pas.

* Oh oh ! La fameuse Perle ! J’aurais dû me douter. Mon cher, soit aimable avec la dame et poli. – De quoi j’me mêle ? C’est une amie et tant que j’y suis, même pas en rêve tu tentes quelques choses quand tu reviendras dans mes bottes. – Je n’en avais nullement l’intention. Maintenant, veux-tu continuer ta route ? On s’impatiente. *

Raaah ! Les dragons… Mon dragon ! Insupportable. J’effectue les quelques pas qui me séparent du mécanisme et après un hochement de tête échangé avec l’envoyé du Fils des Ombres, j’actionne le dit mécanisme. Le tissu s’écarte et dévoile ce que nous sommes venu dérober : le cristal renfermant la Reine de Nightingale.

Le nombre croissait, grandissait, nous étions de plus en plus dans ces jardins de la pénombre dans les allées cachées du palais. J'avais prévu un tel nombre, c'était de mon fait qu'ici bas se rassemblaient autant de voleurs pour dérober au roi son bien qui bientôt serait le mien. Un tel trésor, aussi légitime soit-il (et j'en doutais) ne se pouvait rester dans les mains de cet homme qui possédait déjà bien trop de chose. Nightingale, même si mon allégeance ne lui allait que peu et que mon attachement à ces terres restait minime, il était mon royaume, et si la reine Svanhilde était prisonnière, il n'était pas question de la laisser entre les mains d'un autre. Je n'avais rien de particulier contre de Sombreflamme, il avait juste mal choisi de garder caché le trésor d'une reine, la perle qui avait déclenché bien des choses dans ce monde. Arven n'était plus le même. Et les voleurs viendraient s'accaparer les trésors. Lorgol était tombé dans mes mains, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ?

J'avais d'un regard lancé mon accord à Ayden, celui ci faisant son chemin et le notre au travers les allées sinueuses et mystérieuses des jardins du palais. Des lys. De belles fleurs, c'était vrai. Leur odeur embaumait l'air, agréable, douce, fraiche. En moi, Stellaire est assez contemplatif de ces merveilles, me racontant un instant ses souvenirs et que voilà bien longtemps qu'il n'avait pu observer ni sentir et gouter au plaisir. Le jeune voleur meneur de la mission ne cessait de se retourner vers moi à chaque nouveau chemin, j'acquiesçais, retenant chaque parcelle de ce qui se passait, et je commençais déjà à songer au fait de repasser par là où non. Je m'arrête. Des pas que tout le monde déjà à entendu. Pour ma part, Stellaire me glisse l'arrivée d'une petite surprise. Fronçant les sourcils, j'accueille la petite Perle, servante de Mélusine avec un regard un peu soucieux. Je ne l'avais pas invité à ce joindre à nous, mais un bras en plus n'était pas négligeable, et même si elle n'était qu'une apprentie encore, elle avait le talent. Sans un mot je l'autorise à rejoindre nos rangs déjà bien formé.

Une nouvelle fois Ayden en vient à demander mon soutient. A son regard je comprend que nous étions proche, très proche. Mon sourire s'étire alors que je regarde le mécanisme s'actionner et délivrer devant nous la silhouette prisonnière de Svanhilde Nightingale, belle enfermée dans un immense cristal. Le seul à approcher complètement, je contemple le trésor et pose une main dessus, songeur. Puis ma voix, chuchoteuse mais audible s'adresse au silence de mes hommes qui entourent les lieux. Dans l'assemblée je désigne sept personnes au hasard.

« Vous, repartez en arrière et surveillez les lieux. Je veux que le chemin soit sécurisé et qu'aucun gardes ne viennent interrompre l'opération. Autorisation de les mettre hors d'état de nuire si nécessaire. »

Je retourne le regard vers Ayden et les autres restant.

« Comment pensiez vous le déplacer sans risquer la vie de la reine de Nightingale. Une idée ? »

Le problème ici était de faire vite et bien.

J’évolue au milieu d’un nombre grandissant de voleurs, de gitans, de bohémiens. Certains visages me sont connus, d’autres me rappellent vaguement des souvenirs et les derniers me sont inconnus. Tant de gens pour une tâche si importante…

Même si mon attention n’est pas pleine et entière à l’instant précis, je sais que ce vol signifie énormément de choses différentes. Reconnaissance, vengeance, allégeance à Svanhilde Nightingale ou au Fils des Ombres. J’étais là parce qu’on m’avait appelé mais aussi parce que Nightingale était le royaume où se trouvaient mon cœur et mon âme.
Ma sœur, elle, était là par vengeance. Je voulais lui parler, lui dire qui j’étais mais hélas je ne le pouvais pas et mon incapacité à terminer une phrase rapidement était altérée, phénomène qui m’agaçait au plus haut point en cet instant. Je ne savais pas vraiment à quoi cela était dû mais je butais bel et bien sur les mots. Je brûlais de la serrer dans mes bras, je le ferais un autre jour.

Comme tout le monde, je suivis le mouvement pour entendre une course précipitée. Je me retournais pour voir arriver une jeune femme rousse. Je ne la connaissais pas mais si elle était là, c’est qu’elle y avait sa place puisque personne ne trouva rien à redire.
Le silence revint, gagnant à présent en force. Je tâchais de rendre mon pas aussi léger que celui que l’on devait adopter sur de la neige gelée. Rapide mais discret, je regardais filer ceux qui devaient s’assurer que le chemin était dégagé pour notre fuite. Vint ensuite la question la plus logique une fois la prison de cristal dévoilée. Comment le déplacer sans risquer la vie, supposait-on, de la Reine ? Parler allait être catastrophique mais j’avais pensé à quelques cordes que j’avais passées comme des lanières autour de mon torse. Avec l’échange et la description du lieu et de l’ampleur de la tâche, je m’étais dit que l’idée était bonne mais à moi seul, je n’en avais certainement pas assez. Pourvu que d’autres y ait pensé.

Je tendis les cordes à l’envoyer du Fils des Ombres après m’être déplacé. J’avisais le mécanisme ou du moins ce qui en était visible, ça pourrait nous servir. Je pris mon courage à deux mains pour parler, épreuve pénible.

« Peu… peut-être en u… ut… utilisant » Je respirais, agacé et passablement énervé ce qui n’aidait en rien à me concentrer sur les mots à prononcer. « le mécanis… isme. » Pourvu qu’il suive le fil de mes pensées ou que quelqu’un comprenne où je voulais en venir car je n’aurais pas la force d’exprimer la totalité de mon idée et nous n’avions pas toute la nuit.

Qu'elle était belle, dans ce cristal qui la protégeait de tous les dangers. Elle avait l'air si sereine, si calme, heureuse, en paix. Comment avait-elle fait pour finir de la sorte, je n'en savais rien, mais à la regarder, on avait l'impression que Svanhilde Nightingale était bien dans cette prison de roche précieuse. Précieuse et pourtant si fragile, un simple coup violent aurait pu suffire à la faire sortir, mais à quel prix. Je n'avais pas envie de risquer la vie de la reine pour quelque chose dont je n'étais absolument pas certain. Alors de mon choix, j'indiquais à tous l'importance d'y aller avec la plus grande des précautions lorsque nous tiendrons entre nos main cette vie si figée. J'acquiesce alors que Shamar tend ses cordes, sa voix enrouée et mal assurée. Je fais signe à d'autre voleurs, ils apportent eux aussi des cordes. La suite devrait se passer assez rapidement. Supervisant le travail, je les guide sur la manière de procéder, et bien vite les cordes nous aide à soulever un côté. Les hommes allaient devoir montrer une certaine force pour supporter ce lourd trésor. Mais j'avais dans ma poche la solution pour aller vite. Et Stellaire me confirmait la chose.

Je souris, j'observe les hommes faire, bientôt, ce cristal trônerait dans la Cour des Miracles, mon domaine où rien ni personne ne viendrait me déranger ou me voler. Il était impossible de toute façon, qui pouvait se targuer d'avoir voler le Fils des Ombres. Je scrute les alentours, aucun bruits si ce n'était ceux des voleurs, mais leurs souffles étaient silencieux, leurs murmures presque inaudibles. J'adresse mes mots à Stellaire, il me répond, je souris et ouvre les yeux. Et devant moi, dans un vide s'ouvre un portail, immense, donnant sur un décor tout autre qui était celui de Lorgol.

« Messieurs, je vous en pris. »

Les regards qui me scrutent sont assez surpris, je fronce les sourcils mais je comprend qu'ils ont besoin d'une preuve, qu'ils ne risquent rien. Je travers alors, me retrouvant à l'autre bout du pays, loin d'eux et pourtant si proche. Il me suffisais de tendre le bras pour retourner à Euphoria. Et je les vois me suivre, ils arrivent. Et bientôt, Ayden me rejoint, lui aussi surveillant, laissant aux autres le loisir de soulever le cristal de la reine. Le dragon en moi me félicite de cette réussite, et je le remercie à mon tour de l'aide que lui et les siens nous ont apporté. Les derniers voleurs entre dans le portail, certains ressorte pour rester à Sombreciel, je les salut une dernière fois, leur adressant un merci silencieux.

Le portail se referme, nous étions à Lorgol, la reine de Nightingale entre nos mains, et aussi, mais ça seul moi le savais, la petite dauphine Sigal.

Je patiente à côté du mécanisme, je vois les cordes passer en mains en mains, je les vois tous s'activer pour lever le cristal. Philosophe me l'a dit, un portail serait ouvert pour rejoindre Lorgol et dès que nous y serions, il reprendrait mon corps et ma visibilité. Étais-je impatient? Oui et non. Ce vol, c'était quelque chose de crucial à mes yeux, l'appréhension, l'anticipation, je n'avais pas ressenti ces frissons qui m'étaient si chers lorsque je détroussais mes victimes. J'étais donc pressé d'en finir mais pas le moins du monde de reperdre mon corps.
Alors qu'ils soulèvent tous le cristal, je rejoins l'envoyé du Fils des Ombres. Je ne peux que rentrer, je ne peux me permettre d'être soupçonné ici, à Euphoria. Philosophe est évidement ravi de changer de terrain. À vrai dire, je le comprends. Je ne suis pas réellement bien à Euphoria, il faut croire que je me suis habitué à Lorgol à force, mes repérages y sont fait.

Le portail s'ouvre devant nos yeux, je n'aime pas vraiment l'idée de passer là-dedans. D'ailleurs, pourquoi ce bougre de dragon n'avait pas ouvert de portail de ce genre pour nous rendre ici ? Ma réponse me vient alors que Philosophe s'amuse toujours autant. Il voulait voir du pays ! Je soupire alors que le premier passe puis les suivant.
Le cristal finit par disparaître rapidement. Je salue ceux qui reste sur place. Je jette un regard à la ronde. Je n'ai pas pensé à regarder si Perle est passée ou non mais je ne peux plus attendre. J'espère que cette petite peste va bien, je m'inquiète quand même un peu pour elle.

* Si tu ne veux pas rester ici, passe le portail de Stellaire, il ne restera pas ouvert indéfiniment. *

J'esquisse un geste avant de rentrer là-dedans. Je ne connais que peu le lieu mais il éveille mes souvenirs. La Cour des Miracles. Bienvenue chez toi mon vieux. Je m'étire, les sensations retombent. Nous venons de voler à un roi, une reine.
Je n'ai pas la moindre idée de pourquoi elle est là-dedans. Je peine à comprendre autant de paix, dans le fond, je crois que j'envie la paix qu'elle semble ressentir prisonnière dans son cristal.

Elle est belle. Belle, et terrible à la fois : je sais qui elle est, j'ai entendu les murmures de son nom courir dans l'assemblée. Qui ne connaît pas l'Oracle de la Confrérie Noire, la reine de Nightingale, la mage en devenir – qui ne connaît pas Svanhilde et sa blondeur lumineuse qui la couronne comme la souveraine barbare d'un monde de glaces ? Elle est belle, et terrible – et je lui ressemble, quelque part, par cette indépendance suprême qui lui colle au visage et que je porte en moi, flamme intense qui continue de brûler en elle alors qu'elle semble presque... morte.

Et pourtant. On dirait qu'elle va bouger, nous parler, ouvrir les yeux – j'ai presque la sensation de la voir respirer alors que le cristal l'enserre de toutes parts. Géhenne manifeste sa curiosité – il la sent presque vibrer du pouvoir démentiel qu'elle détenait avant de trancher si soudainement le fil de sa vie, le pouvoir de l'un des siens auquel elle avait cédé tout son être. Si j'interprète convenablement ce que je perçois de lui, un tel choix est très rare, et cette femme-là se distingue par le sien. Que les Voleurs honorent sa mémoire, elle en est digne. Ils l'emportent, soulevant la masse colossale du cristal à travers un portail magique ouvert par l'un des congénères de Géhenne – pour ma part, je replace au centre du jardin le voile qui le couvrait, après y avoir épinglé une lettre manuscrite à l'attention du maître les lieux. Quelle chance que son épouse soit l'écrin d'un Dragon, et qu'il ait consenti à l'occuper conjugalement pour nous procurer toute la tranquillité nécessaire à notre larcin prestigieux...

« Castiel,

Vous m'avez volé ma mère. Elenah, que vous appelez Hélène – j'avais quatre ans lorsqu'elle m'a abandonnée, et son départ a signé la mort de mon frère aîné ainsi que mon exil à la mort dans les dunes arides. J'ai survécu, et je vous déroberai à mon tour ce que vous tenez pour cher et précieux : ce bébé blond, sa mère couronnée, votre couronne, votre blanche épouse – et vous resterez seul dans l'ombre. Puis, lorsque les années vous auront fané dans la solitude et l'amertume et que vous ne pourrez expier plus, je prendrai votre vie.

Savourez la juste rétribution du crime de votre père.

Shéhérazade. »

Nous avons convenu que le vol me retomberait dessus – pour préserver l'anonymat des Voleurs, et détourner les soupçons de Lorgol dans un premier temps. Cela me convient. D'un signe de la main, j'adresse le salut rituel des Tsaâra à l'envoyé du Fils des Ombres, et quitte les jardins discrètement pour me fondre dans les allées du palais et les rues d'Euphoria.

Pleure, Castiel. Ton trésor est entre les mains du Roi des Voleurs.

Je guette le moindre bruit, le moindre son. Je suis focalisé sur cette seule tâche avant de me diriger pour aider à porter le cristal renfermant ma reine. J'espère qu'ils trouveront le moyen de la ramener parmi nous. Je pense me renseigner quand tout cela sera terminé.
Je suis un porteur parmi tant d'autre, je me trouve à la toute fin. Je ne peux les suivre, j'ai d'autres choses à faire, d'autres projets. Il me faut veiller sur ma sœur et sa fureur, nous sommes des opposés, étrangement. Elle la chaleur du désert, moi, le froid des glaces.

Je m'avance jusqu'au portail mais je relâche ma prise une fois qu'ils sont passés. Je suis de ceux qui restent ici. L'un d'entre eux s'attarde mais dans les jardins de mon demi-frère, les derniers voleurs, gitans et bohémiens disparaissent. Je fais quelques pas, de côté alors que l'étrange brèche se referme. D'un peu plus loin, j'observe ma sœur laisser sa trace.
Non seulement je dois l'empêcher de commettre l'irréparable mais en plus, je dois empêcher mon demi-frère d'exercer sa vengeance. Je dois être attentif et rester serein. Alors qu'elle s'éloigne, je lis ce qu'elle a écrit. Sa colère est grande, son désir de vengeance est infernal. Elle me croit mort, je vais devoir me dévoiler plus tôt que tard si je ne veux pas qu'elle me rejette. Je ne suis d'ailleurs pas certain qu'elle ne m'exclura pas de sa vie mais le risque est à prendre.

Je me détourne et sors des jardins discrètement. La nuit est encore jeune, pourquoi ne pas en profiter pour visiter l'étrange capitale du royaume de mon demi-frère...
Mes pensées s'évadent et vagabondent, l'hiver approche, le froid et le gel. Je pourrais presque m'imaginer le bruit de mes pas faisant crisser la neige.

Resa... quand l'heure de nos retrouvailles viendra, je t'en prie, ne me rejette pas. Quant à toi Castiel, pourquoi donc gardais-tu dans ton jardin, la reine d'un peuple qui a besoin de voir son royaume se relever grâce à des mains légitimes ?

Tu ne sais pas ce qui c'est passé ce jour là, tu n'as pas compris pourquoi tout d'un coup le monde autour de toi avait changé. Tu avais fait une grave erreur alors que le soir du 10 octobre tu avais rencontré un garde fort charmant alors qu'avec Sigal tu te baladais au travers des jardins noirs. Et plus encore même, tu avais été contraint de déposer le bébé tranquillement dans un coin pendant que tu vaquais à une occupation à laquelle tu n'aurais pas du céder. Et il n'avait pas fallut longtemps pour que le larcin se fasse sous ton nez. Et tu as crié alors que tu observes la place vide de toute vie, l'endroit où tu avais déposé Sigal. Comment avait-on pu te la voler ? Comment ? Et Castiel ? Que dirait-il ? Il allait sans doute te tuer, te faire exécuter cas tu avais failli à ta mission, encore. Et tu pleures, tu cries son nom et tu cours au travers des jardins dans l'espoir d'apercevoir quelqu'un. Mais personne ne vient, tu es seule, et tu ne peux rien faire. A genoux tu regardes tes mains qui tremble, puis, des pas viennent de derrière, tu n'as pas le temps de te retourner que tu aperçois seulement une silhouette sombre, et le noir t'envahis. Tu ne t'étais pas évanouies ce jour là, mais tu te souviens bien avoir senti un coup, pas violent mais qui t'avais laissé un souvenir cuisant.

Tu t'étais réveillé dans un endroit inconnu. Du moins jusqu'à ce que tu ne sortes et observes. Les milles tours en ruine, te voici revenue à Lorgol. Mais par quel moyen cela était-il possible ? Alors que tu étais à Euphoria te voici maintenant retenue à la Cour des Miracles, enlevé t'avait-on dit par le roi lui même pour s'occuper de... mon dieu elle était là, tu t'approche de l'homme dont la cape noire est relevé sur son visage, il tient le bébé. Tu lui prend doucement des mains et la berce dans tes bras. Les Puissances soient bénies, Sigal n'était pas en danger. Tu en eus le coeur net alors que l'on te confirma être la bienvenue tant que tu ne révélais rien.

Et les jours passèrent, te faisant revoir ce Lorgol changé que tu n'avais jamais pu revoir depuis la chute. C'était affreux... Et un soir, une chose était arrivé, au centre de la grande place, au pied de la tour des voleurs, tu vois une brèche s'ouvrir, un homme passer et un immense bloc de cristal le suivre de peu. Dans tes bras tu serres Sigal, elle s'agite et tu comprends enfin pourquoi. De tes yeux effrayé, tu vois dans cette prison si pure le corps de Svanhilde. Cette femme que tu appréciais peu, la voilà, si belle et si sereine que tu ne peux t'empêcher d'approcher, comme si, la petite fille dans tes bras te poussais à faire se rejoindre la mère et la fille. Et alors que ton souffles se colle presque à la parroie cristalline, tu vois la reine de Nightingale sacrifiée pour le bien d'Arven. Au prix de sa vie elle avait donné aux peuples une chance de se libérer. Et tu pleures. Tu ne portais pas Svanhilde dans ton coeur, mais une larme perle à tes yeux.

Le néant. Ici, dans ce monde neutre et aseptisé, rien n'existe. Plus de peur, plus de douleur, plus d'angoisse et de deuil, plus de cris ni de larmes. Juste la paix. Je suis sereine. Libérée enfin. De tout ce monde qui se disputait la coquille éventrée de mon âme massacrée, de ce tyran qui étouffait la flamme sacrée de la magie d'Arven et de ses enfants.

Je repose. En paix. Pour l'éternité.

Sacrifiée, mais libérée. Plus d'amour – oh, cette pensée brûle, cette pensée ronge. Je l'oublie, je l'efface – le repos me gagne. Il n'y a plus que le blanc autour de moi. Un blanc si intense qu'il en devient presque noir, ce noir qui m'apaise, me calme, ce noir gallien, cette couleur chaude et familière des ifs solennels.

Soudain ma paix se trouble. Ils sont là – nombreux autour de moi. Combien ? Je ne sais pas. Je les perçois. D'ordinaire seul Castiel vient me voir, tente de me parler, de m'éveiller mais je le fuis dans les bras complices de l'oubli. Eux ne me parlent pas, non – ils m'emportent, une part de moi en a conscience par les yeux de Sage qui les observe dans mon corps, alors que le sien étincelle parmi l'empilement de ses frères venus le trouver. Que font-ils ? Il me doit l'oubli, il me doit la paix, c'est la récompense de mon sacrifice. Je me réfugie tout au fond de moi, et je m'oublie moi-même alors que ma conscience s'efface. Je n'ai pas bougé.

C'est une sensation familière qui vient me troubler, dans les tréfonds des ténèbres chaleureuses où je dérive. Un océan de paix – je la ressens, cette présence tant aimée, celle de la chair de ma chair, du sang de mon sang. Sigal est là, Sigal n'est pas loin – elle va bien. Rassurée, je me laisse aller dans les bras de la sérénité, dans mon univers vide et stérile.

Je repose en paix.

Pour l'éternité...

Il n'était pas dupe, tout de même.

Ces silhouettes masquées, vêtues de capes, Césaire était peut-être le seul damné à les avoir vu. Par tous les ports d'Arven, mais ces petits malins se croyaient-ils invisibles? Il n'avait pas bougé de son poste, n'avait pas relevé un seul mouvement. Une vraie statue. Sans savoir ce qu'ils faisaient là, ces voleurs aussi discrets qu'un troupeau de chameaux dans le boudoir de Castiel, Césaire n'avait rien arrêté. Il était des leurs. Le roi était revenu le jour même de sa recherche de la princesse Sigal, sans l'avoir retrouvée, et avait été retrouver la reine dans leurs appartements (pas besoin de se demander pourquoi, ils faisaient un boucan pas possible)(pas qu'il était chaste et prude, hein, mais ça va, les détails). Lui avait donc la soirée pour lui – la soirée pour ignorer ces ombres furtives qui glissaient au coin des bas, se faufilaient dans les couleurs, couraient sans bruit. C'est seulement après qu'aucun bruit ne soit audible dans le palais que l'ancien marin avait osé chercher ce qui avait été dérobé, un petit sourire aux lèvres. Voler dans le palais de Castiel n'était pas bien difficile – on y entrait plus facilement qu'entre les cuisses d'une catin de Clairciel, et pareil pour la sortie. Une peinture? Une statue? La totalité de la salle aux statues? La couronne de Castiel? Sa femme, même? C'est seulement après quelques recherches dans les dédales qu'il osa pousser la porte du Jardin des Lys, mû par un instinct. Et il n'y trouva... rien.

Rien.

Il n'y avait plus rien.

Il n'y avait que les lys blancs qui semblaient presque briller sous la lueur de la lune. Il n'y avait que le vent. Il n'y avait plus le cristal où la Reine de Nightingale reposait, d'un sommeil éternel. Il n'y avait que le vide.

Un immense poids tomba dans son ventre. Il devait alerter Castiel – mais le seul geste qu'il fit pour partir fût arrêté par lui-même et une autre partie de sa conscience. Il devait être fidèle à la Guilde. Fidèle au Fils des Ombres. Et pourtant, là, dans le Jardin des Lys, le visage balayé du parfum des fleurs, il ne savait que faire. Il était fidèle au Fils des Ombres. Il ne pouvait pas trahir ce qu'ils venaient de faire – parce que même sans avoir été averti, il savait, ô, il savait. Qui d'autre pour venir voler une telle... chose?, au milieu d'un palais? Qui donc pour oser et réussir? Césaire déglutit et s'avança vers le voile noir au milieu du jardin, récupérant la carte pour en lire le texte. Ce n'était pas l'affaire uniquement du Fils des Ombres. C'était celle de bien trop de choses, de bien trop de gens. Il ne savait pas quoi faire. Dans un geste de découragement, il reposa la carte avant de s'asseoir sur le banc, la tête entre les mains. Le dire à Castiel avant qu'il le découvre par lui-même et ainsi aller contre lui-même, contre la Guilde. Ou attendre. Attendre que le roi de Sombreciel pose les pieds dans le jardin. Et que tout brûle.
Il devait attendre.
Césaire se releva donc et quitta le Jardin des Lys sans mot dire. Il attendrait. Il serait aux côtés du roi pour voir, pour savoir, mais il ne pouvait pas parler.


Castiel venait de se lever et d'un regard, lui signifier qu'il allait se rendre dans le Jardin des Lys pour la voir et qu'il avait besoin qu'il vienne surveiller. Pas de problèmes, évidemment. Un bref assentiment avait fait hocher sa tête, sans qu'il dise quoi que ce soit. Il ne pouvait pas parler des Voleurs. De la Guilde. De tous ceux auquel il était lié, auquel il devait loyauté. La loyauté à la Guilde avant toute chose. La majestueuse panthère le darda quelques secondes de son regard d'encre avant de précéder son mage. Un chemin fait en silence. Césaire se posta gravement à l'entrée et ne regarda pas le roi entrer dans le jardin.

Le silence.

Un bruit. Un feulement rauque de fauve. Il ferma les yeux. Inspira. Et lorsqu'il entra dans le jardin, il vit Castiel à genoux au sol, au milieu des lys blancs, dont pas un n'avait été abîmé. Sur ses joues pâles, des larmes, dans ses mains, le voile noir et la lettre. Devant lui, la panthère qui feulait, qui crachait, qui miaulait, qui rugissait, qui pleurait tout comme lui. Et dans les yeux noirs de Castiel, une flamme s'éteignit.

Mourut.

J'ai fui Sinsarelle. C'est l'endroit de la paix et de la sérénité, je ne peux y rester – pas avec les tourments qui me déchirent et me dévorent, pas avec le spectre de la folie qui me guette et m'obsède. Je ne veux pas entacher le souvenir de la joie avec de la douleur, de la peine, de la rancœur. Je ne veux pas. Perle a disparu, nous n'avons toujours aucune nouvelle de Melbren, de Melsant, de Mélisande. Ce monde s'effondre, ce monde s'enflamme, et moi je sombre de plus en plus loin, de plus en plus profond. Je laisse Lisbeth réfugiée chez moi telle une enfant choquée, aux bons soins de mes gens, et c'est seule que je me suis enfuie, cherchant dans l'air frais de la nuit un peu d'air et un souffle de liberté.

Courir au rythme du galop des cheveux, avec mon âme pour seule compagnie – mon âme si fragile, mon âme si choquée, mon âme que j'ai du mal à réconforter tant je suis moi-même fatiguée, dans ces moments de lucidité qui me montrent l'horreur du monde tel qu'il est. Et j'ai galopé, oui, dans ces quelques jours qui séparent Euphoria de Sinsarelle, galopé droit vers la Cour, sans savoir trop ce que je cherchais.

Je n'ai pas osé dirigé les pas de Sisim vers Séverac. Pour y trouver quoi, l'absence de mes frères, de ma sœur, le chagrin et le vide ? Nous sommes partis à quatre, je ne reviendra pas seule. Je ne reviendrai pas, tout simplement. Alors, c'est vers la capitale que je me suis élancée au galop effréné de mon étalon du désert, c'est vêtue en Erebienne de la tête aux pieds que je suis entrée dans la ville. Tout le monde fixe mes voiles, mes bijoux, avec la méfiance des Cielsombrois pour les enfants du désert. Et pourtant, à Sinsarelle pendant deux mois, c'est Erebor qui m'a permis de tenir bon, de tenir sous contrôle l'angoisse, la peur, la folie, l'abandon. Mélisande respire Sombreciel, cette décadence de l'esprit qui s'affaisse en glissant – je suis Erebienne, dans la grandeur insolente de sa démesure, qui s'enflamme et brûle, incandescente.

Aux portes du palais, l'on me conduit dans les jardins après que mon nom ait éveillé quelque reconnaissance. Dans les jardins, oui – où je patiente près d'une porte tandis qu'un hurlement félin résonne. Personne ne me regarde plus – d'un geste fluide de Voleuse, j'entre dans le sanctuaire de Castiel. Lui qui m'a tirée des ruines du palais effondré, menée ici puis installée à Sinsarelle pour me reposer, le voilà crispé au sol, des larmes au visage et un gémissement étranglé sur les lèvres. Césaire est là – et je sais que, lui aussi, il voit dans les prunelles de notre seigneur s'éteindre la fragile étincelle de l'enfant qu'il était. La panthère à l'agonie, qui se roule au sol et pleure – je ne sais pas ce qu'il a perdu, mais je sais que son âme saigne et que son cœur en meurt.

De quelques pas rapides, je m'agenouille près de lui, l'enlace et le serre contre moi. Comme lorsqu'il était enfant et qu'il pleurait dans mes bras l'absence de ses parents, comme ce jour étrange quelques mois plus tôt où il était venu pleurer sur mon épaule les fiançailles de celle qui est aujourd'hui sa reine. Il pleure – avec une intense douleur qui me fait peur, il pleure de toute son âme, de tout son cœur, alors que la flamme qui l'anime semble faiblir et s'éteindre. Je ne dis rien, il ne m'entendrait pas – je ne parle pas, je me contente de le bercer, d'être là, et de le serrer contre moi.

Mon âme vacille, la folie gronde. Je la tiens au large encore, perdue dans cet océan de chagrin qui me submerge – est-ce le mien seul, ou le sien qui déborde ? Mon âme chancelle, et la folie s'éveille.

C'est mon Roi qui pleure dans mes bras.

Voilà près de deux mois que tu étais revenu à la vie. Presque deux mois que Selar et toi deviez vous habituer à fouler de nouveau le sol d’Arven. Presque deux mois que Svanhilde s’était sacrifiée. Et pourtant… Tu étais persuadé qu’elle n’avait pu périr alors que tu étais en vie.
Tu aurais déjà dû te rendre à Euphoria, dans le palais de Castiel pour récupérer Sigal, ta petite Sigal, la prunelle de tes yeux. Mais tu n’avais pu t’y rendre dans l’immédiat. Revenir à la vie n’est pas chose aisée et bien longtemps, tu es resté alité, ravagé par la douleur et le chagrin. Chimène avait dû déployer nombres de stratagème pour t’empêcher de partir trop tôt et plus encore pour empêcher Selar d’attaquer quiconque se mettait entre Arven et toi. Une fois ce stade passé, tu avais consenti à prendre du repos et tu avais commencé à tenter de dompter les voix que tu entendais. Le phénomène restait brouillon et il n’était pas dérangeant outre mesure. Tu étais bien incapable de toutes les comprendre ou encore de les isoler mais tu saisissais souvent l’idée qui se dégageait parfois de l’une ou l’autre.

De Dragonvale, tu avais commencé à faire route vers Sombreciel, t’assurant que ses volontés soient respectées et que la Confrérie Noire avait bien été dissoute. Au moins pouvais-tu faire cela pour l’instant. Tu te dirigeais tranquillement vers Erebor, tu descendrais ensuite pour rejoindre Sombreciel. Un bien petit détour pour appréhender à nouveau ce monde. C’est lors d’une pause bien méritée, alors que tu méditais que tu as perçu une idée générale mais confuse au milieu de toutes ces voix qui parlaient dans ta tête. Il y était question de Svanhilde dans l’ensemble et de Sombreciel… mais pas seulement, moins précisément, quelque chose concernait ton enfant.
Tu ne cherchas pas plus loin. Tu devais rejoindre Sombreciel, rapidement. Terminés les détours et la redécouverte de tes sens, terminé de regarder le monde à travers les yeux de Selar. Tu levas le camp, rappelant Selar à toi mais il avait déjà compris.
Plusieurs fois, tu fus forcé de t’arrêter. Plusieurs fois, tu fus obligé de vous octroyé un peu de repos. Sage, qui gardait un œil sur toi, pour tu ne savais quelle raison, t’enjoignait à ne pas trop tarder pourtant mais il refusait de parler plus avant de ce qu’il savait. Un silence qui t’agaça mais qui ne faisait que renforcer ce sentiment qu’il y avait quelque chose d’important en jeu.

Arrivé face au palais, tu confias ta monture à un garde ou à une domestique. Tu n’eus pas le temps de voir l’air déconfit de celui à qui tu avais passés les rênes de ton pauvre cheval au bord de l’épuisement. Tu aboyas presque pour qu’on t’indique où se trouvait Castiel. Étonnant qu’on te laisse rentrer alors que tu avais tenté de tuer leur roi…
Mais lorsqu’enfin, tu fus à l’endroit que l’on t’avait indiqué, tu trouvas Castiel, roi de Sombreciel dans un état que tu n’aurais jamais cru voir chez lui. Il semblait effondré. Il n’y avait pas d’autre mot et bien que tu veuilles t’en réjouir, quelque chose t’en empêche. Tu ne sais pas pourquoi, ni comment cela était possible mais tu te revis, il y a quelques années, incapable de supporter la détresse.

Tu t’approches, Selar volant loin au dessus du sol, refusant obstinément de te suivre plus près du sol. Tu t’arrêtes alors que tu es à un mètre de lui, tout empoussiéré que tu es et ne présentant clairement pas comme le roi que tu dois être mais tu es là.
Tu poses une main sur l’épaule de Mélusine, ou Mélisande, tu l’ignores. Il ne te reste qu’une chose à faire, annoncer ta présence et parler.

« Je ne suis pas là pour quelque vengeance. Je suis là pour ce qui m’appartient. Qu’est-il arrivé ? »

Tu tentes de ne pas être trop froid, tu te maîtrises. Tu l’as juré, tu ne réclameras pas vengeance et voir l’homme qui t’as apporté la mort dans cet état ne t’apporte rien. Ton meurtrier ne joue pas, il est réellement touché par quelque chose.