« Monsieur le duc ? Hjalmar désire vous voir. » Tu ne lèves même pas les yeux de ta lecture, un épais traité bicentenaire sur l'anoblissement du domaine d'Isle-d'Or, près de Cibella. Pourtant, tu as bien entendu. Césaire sait d'ailleurs qu'il ne doit pas répéter, au risque de déclencher une de tes colères. Tu n'es ni sourd ni idiot, point besoin de répéter ses mots. Ton domestique sort de ta chambre, dans laquelle il n'a posé qu'un pied prudent, te laissant à tes préparatifs à cette rencontre. Tu enlèves l'élégante pipe ouvragée d'entre tes lèvres, la posant sur la table basse située près du fauteuil favori de ta luxueuse suite, laissant le goût parfumé du tabac envahir pour une dernière fois tes poumons, ta bouche, ton être. Boisé, celui-ci. Le persan lové sur tes genoux se lève et s'étire, descendant de tes genoux juste avant que tu te lèves pour replacer le col de ton habit sombre. Tu n'as pas mis le nez hors de tes appartements, en ce jour, mais tu as tout de même pris la peine de passer autre vêtement que ton peignoir de soie noire. Tes goûts sont luxueux, fins, et la moindre de tes possessions est marquée de ce goût pour la richesse. Tu as toujours vécu dans l'opulence, après tout, pourquoi donc aurais-tu changé en venant en Lorgol ? Dans cette cage dorée qu'est le palais impérial, où mille domestiques s'affairent à répondre au moindre de tes désirs, sans savoir que celui qui t'est le plus cher est de retourner dans ton propre palais ?

Sombreciel te manque chaque jour, depuis que tu as quitté ton duché, et chaque jour, chaque nuit, tu te meurs d'y retourner. Tes visites y sont chaque fois trop courtes, trop minces, et ton regard jamais assez long sur la magnificence de ton royaume. Le parfum des doux jardins de Lagrance, la mer fougueuse et impétueuse devant vous, élargissant votre horizon et à l'image de l'esprit imprévisible des Cielsombrois, les montagnes et les étendues de sable blond d'Erebor, et même la splendeur desséchée, honteuse, honnie, de Nightingale.

Le noble chat te jette un dernier regard de ses prunelles profondes, aussi noires que les tiennes, avant de disparaître. Tu ouvres la porte de ta suite et Césaire te salue d'un signe de la tête, avant de te conduire à la pièce où Hjalmar t'attend. Bien que ton esprit soit aujourd'hui calme et vide de toutes ces encombrantes pensées qui parfois influencent ton caractère nerveux, tu n'en restes pas moins intrigué par la raison pour laquelle l'homme le plus proche du Lord veut te rencontrer. Vous n'avez pas habitude de converser ensemble, vos intérêts divergent beaucoup et tu sens bien qu'il n'est peut-être pas entièrement à l'aise en ta présence. Le bruit de tes pas résonne entre les couloirs du palais. Tu souhaites qu'Il soit là. Étrange est le lien que tu as avec cette créature, qui tient plus de l'hallucination que de la réelle présence. Après tout, n'es-tu pas le seul à voir le félin ? N'as-tu pas l'impression que celui-ci peut lire tes pensées, prédire tes gestes, que sa démarche s'adapte à la tienne et que son être n'est qu'un complément du tien ? Ne change-t-il pas de forme, selon tes humeurs, prenant un jour la forme d'un prédateur imposant, aussi noir que la nuit, et un autre, celle d'un fier chat de salon ? Tu ne peux même pas te rappeler de la première fois que tu l'as vu, tu te souviens seulement d'avoir un jour remarqué sa récurrence, ses yeux qui toujours te fixaient. Depuis, tu ne sais te passer de la présence rassurante de cette vision. À peine le souhaites-tu que tu le sens marcher à tes côtés, invisible présence, et un sourire paisible étire tes lèvres.

Césaire pousse la porte de la suite d'Hjalmar. « Monsieur, le duc de Sombreciel. Merci bien, Césaire. Maintenant, laissez-nous seuls. » Tu entres et vois l'homme debout, s'avançant pour te saluer d'un signe de tête poli que tu lui rends. « Vous désiriez me voir. Oui, merci de m'accorder cet entretien, sire. Prenez place, je vous prie. » Tu t'exécutes sans te faire prier. Tu te demandes ce que l'homme te veut, encore et toujours, et Il te murmure à l'oreille que tout cela n'est qu'un piège. Tu ne sais si tu dois Le croire. Ses conseils sont toujours avisés.

« Vous n'êtes pas sans savoir que l'hiver approche à grands pas, sire. Lord Augustus désire faire du Bal du Solstice d'Hiver une immense fête qui saura ravir tous ses sujets et soutenir l'unité d'Arven. Un noble but. Tu vois doucement où il veut en venir. Tes yeux noirs pétillent, s'agrandissent, et tu te raidis dans ton fauteuil, prêt à entendre la suite de ses mots. Ce serait un honneur que cette année, votre palais ducal soit - Oui. »

Ta langue te brûle. Tu n'as pu attendre la fin de son laïus pour accepter, d'une voix ferme et enjouée, l'offre qui t'est faite. Malgré les réprimandes silencieuses qu'Il te fait, te sommant que cela ne pourra que se retourner contre toi, tu acceptes. Tu as besoin de cela. Retourner dans ton palais, organiser une fête, une immense fête qui saura souligner la splendeur de ton royaume, mais aussi la légitimité de ton titre. Peut-être ainsi pourras-tu regagner tes terres, ton royaume, et quitter cet endroit qui ne fait que te rendre fou. On t'a envoyé ici, jadis, pour que tu deviennes docile et obéissant, et tu n'en es que plus fougueux, plus imprévisible. Hjalmar ne semble pas surpris de ta hâte et ne fait que sourire, t'observant en silence. Que voit-il ? Ton visage pâle aux yeux légèrement fatigués de tes nuits sans sommeil, ou alors peuplées de cauchemars ? Tes yeux noirs pétillants, de joie cette fois et non pas de folie ? Ta frêle silhouette, pourtant si forte lors de tes colères, qui coïncident toujours avec les incendies les plus ravageurs de Lorgol ? Ton charisme incandescent, aussi palpable que le danger qui t'entoure ? Voit-il le duc, voit-il l'enfant, voit-il le fou ? Voit-il le rebelle qui rage au fond de toi, voit-il le farouche supporteur de l'empereur, voit-il ne serait-ce que la pointe de tout ce que tu recèles en ton coeur sombre, changeant, aussi plein de tempête que la mer ? L'homme se lève finalement et s'incline devant toi, t'ouvrant les bras d'un signe de la main : « J'annoncerai la nouvelle à l'empereur et dès lors, vous pourrez prendre en main l'organisation du Bal d'Hiver. Je vous remercie, au nom de l'empereur et de tout le peuple d'Arven, pour votre générosité. »

ALIENOR DE BOHEMONT. Tendre Aliénor, si douce et pourtant froide, si délicate et pourtant forte. Ton être est vivement partagé face à elle. Le Clair s'émeut de sa beauté solitaire et de sa fierté, tandis que le Sombre hurle d'avoir été atteint par ces sentiments grotesques, faibles, humains, nuisibles. La détruire un jour et l'embrasser le lendemain, c'est ce que tu ressens lorsque tu vois son visage. Tu lui fais une cour patiente, malgré tout, désireux de connaître la douce dame de Bohémont, la clarté de ta personne l'emportant sur l'ombre de ton âme.

ANTHIM D'EREBOR. En ce qui concerne le consternant duc héritier d'Erebor, toutes tes facettes sont unanimes. Tu ne peux le supporter, il te hérisse et t'énerve. La perfection de ses manières, son aura éclatante, son charisme exemplaire, tout cela ne fait qu'éclipser ta propre aura, ton propre rayonnement. Tu évites donc avec soin le jeune homme, vos quelques rencontres se soldant de toute façon dans la froideur.

CESAIRE FINCHASSEUR. Béni soit Césaire ! Les domestiques fiables sont rares, tu en tues au moins deux par semaine avec tes colères ravageuses, et seul cet homme a réussi à survivre à toutes. À croire que tu t'es entiché de son caractère docile, de ses regards haineux et de sa façon de t'obéir en serrant les dents. Tu sens bien qu'il ne t'apprécie pas, quel serviteur le fait de toute façon ?, mais tu n'en as cure. Tu lui pardonnes même ses quelques maladresses : après tout, si tu le tues, tu vas devoir te trouver un nouveau domestique.

DOLPH SALDENOW. Drôle de personnage qu'est Dolph. Sa loyauté indéfectible envers Augustus t'amuse et tu t'es fait un ami du duc héritier, voyant en lui quelqu'un d'utile. On n'a jamais assez de bons contacts, après tout, et un de plus plutôt haut placé ne te déplaît pas. Sa tolérance envers tes extravagances et tes sautes d'humeur en font également un bon allié. Jamais il ne commente tes actes parfois illogiques, jamais il ne se moque. Sans doute lui aussi s'amuse-t-il de cette relation.

MELBREN DE SEVERAC. Serait-ce qu'on appelle un ami ? Jadis fiancé avec la dame de ton cœur, Melbren s'est vu refusé sa main lors de la ruine de sa famille. Le Clair le remercie de ne pas avoir insisté pour l'épouser tout de même et ainsi retrouver un semblant de noblesse. Quant au Sombre, c'est sa part rebelle qu'il apprécie. Tu lui écris régulièrement, des lettres ambivalentes selon tes humeurs et tes perceptions, et tu es plus qu'heureux d'avoir des nouvelles de ton ami si lointain.